Deux ans après les élections présidentielles, chacun a évidemment sa façon d'apprécier la situation de la France en fonction de son point de vue et de sa place dans la société, l'économie, et bien sûr la culture.
Mais, qu'on le proclame, qu'on le concède, ou qu'on le taise, de plus en plus nombreux sont au total celles et ceux qui pensent que la «rupture» promise durant la campagne électorale, et survendue comme l'entrée dans une époque et des valeurs nouvelles, s'est transformée en un énorme chambardement, dont la crise mondiale est moins la cause qu'un des accélérateurs.
Le chambardement n'est pas le changement, bien au contraire. Alors que le changement est généralement porteur d'un projet positif.
La stratégie du choc
Bonjour et merci pour le lien ! Les éditos d'André Rouillé sont épatants.
"un énorme chambardement, dont la crise mondiale est moins la cause qu'un des accélérateurs."
Cette manière de procéder semble illustrer la "stratégie du choc"* dont Naomi Klein traite dans son ouvrage du même nom. Il s'agit de tirer parti de la peur, du désarroi et de la désorientation pour imposer des mesures "drastiques" autant "qu'impopulaires".
Parmi les exemples qui émaillent son ouvrage, elle cite celui des "tigres asiatiques".
"En Asie, c’est la crise financière de 1997-1998 – presque aussi dévastatrice que la Grande Dépression – qui affaiblit les « tigres » asiatiques et les obligea à ouvrir leurs marchés à ce que le New York Times appela la : « plus grande vente de faillite du monde ».
Bon nombre de ces pays étaient des démocraties, mais les transformations radicales visant la libéralisation des marchés ne furent pas imposées de façon démocratique.
En fait, ce fut exactement le contraire : conformément aux prévisions de Friedman, le climat de crise généralisée permettait de faire fi de la volonté des électeurs et de céder le pays aux « technocrates » de l’économie."
*La Stratégie du choc. La Montée d'un capitalisme du désastre
de Naomi Klein
Éd. Leméac/Actes Sud, 2008, 671 p.
Jean Michel
Eurpoéennes
J'ai paraphrasé le sous-titre d'un livre de Bernard Stiegler, De la misère symbolique T2, pour mettre en évidence quelques points qui m'ont semblé, à tort ou à raison, dignes d'intérêt dans les résultats de cette élection européenne. Dans un premier temps, et afin de ne pas y consacrer plus d'espace que nécessaire, je reviendrai brièvement sur le succès de l'UMP. Sans diminuer aucunement le fait que cette formation politique ait très largement devancé tous ses concurrents (quasiment le double du score du second ce qui est énorme) il convient de préciser qu'il s'agit de 27,47 % ... de 40,65 % de votants c'est-à-dire, si mes calculs sont bons de 11,16 % des inscrits. Le grand gagnant de cette soirée électorale était donc aussi le grand absent : l'absentation.
On pourra s'étonner de cette absentation (elle était prévisible) ou s'en lamenter (c'est un peu tard) mais non pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Plus d'un électeur sur deux ne s'est pas déplacé, le fait est là. Je laisserai aux politologues le soin de faire l'analyse détaillée de ce qu'il faut bien appeler, après Freud, un malaise dans la civilisation, cependant je tenterai une remarque : le désengagement des citoyens est à la mesure de leur perte de participation dans leurs vies mêmes, perte de participation qui est un des effets dévastateurs du modèle consumériste (entendons par là d'un modèle dans lequel ce n'est pas la demande qui déclenche l'offre mais bien l'inverse) dans lequel nous nous débattons depuis quelques décennies. B. Stiegler et Ars Industrialis l'ont bien montré, après avoir prolétarisé le travailleur le système hyper-consumériste a prolétarisé également le consommateur en lui retirant ses savoir-vivre comme faire soi-même la cuisine, s'orienter sans GPS, recoudre un bouton, etc. Nous devenons des presse-boutons pressés, des agités de la zapette perdus dans un environnement hyper-informatisé qui nous échappe et nous submerge. N'oublions jamais que la télécommande doit d'abord se lire comme la télé commande. A qui commande-t-elle ? Patrick le Lay, ex-PDG de TF1 a jadis répondu dans une élan de sincérité aussi étrange que subit (on pourrait appeler cela le retour du refoulé mais peut-être ou sans doute, était-ce plutôt un bref accès d'hubris) la télé commande à notre cerveau ou plutôt à ce qu'il en reste, pour pouvoir en découper des tranches de "temps disponible " et les vendre sans vergogne au marketing. Une sorte de time-share de la psyché, chaque annonceur louant qui, trente secondes, qui, deux minutes, de cet espace de plus en plus désaffecté, au sens premier du mot (privé d'affect), qu'est devenu notre for intérieur. Nos consciences ont été peu à peu transformées en friches industrielles, et l'histoire de la pensée est devenue une Loft-Story où quelques désirs factices et pré-fabriqués s'ébattent mollement dans un loft déshumanisé. Une perte de sens généralisée et radicale s'ensuit, et la politique n'étant finalement que l'art de donner du sens à nos vies prises collectivement en tant que faisant société ensemble, elle est la première victime collatérale du pouvoir illimité qu'elle a elle-même laissé au marketing.. Pourquoi voter un dimanche pour un parlement européen dont on ignore presque tout, dont on pressent qu'il ne résoudra rien, dont on pourrait même se prendre à penser qu'il est peut-être une dépense inutile de plus ? Alors même que beaucoup de magasins sont déjà ouverts le dimanche.
Existe-t-il encore quelque raison d'espérer ? On peut le penser, malgré tout. Le score étonnant des listes d'Europe Ecologie n'est pas dû simplement au fait que le PS a été divisé, a fait une mauvaise campagne, ni même au fait que cette liste écologique a axé sa campagne sur l'Europe plutôt que sur la situation nationale française. Bien sûr, c'est une des raisons de son succès, ce qui démontre qu'une partie des électeurs au moins ne s'est pas trompée d'élection comme les medias l'avaient un peu trop rapidement écrit au lendemain du référendum, bien sûr la personnalité même de Daniel Cohn Bendit incarnation d'un pacte franco-germanique sans doute rêvé a probablement joué à plein mais la raison principale me semble ailleurs : alors même que la crise du modèle hyper-consumériste aurait pu inciter la plupart des français à se replier sur des partis prônant une efficacité court-termiste (comportement classique), une partie des électeurs, ce qui ne représente pas beaucoup de monde nous le savons, partie non négligeable tout de même, a choisi de mettre au premier plan une préoccupation non pas simplement environnementale mais écologique. Le programme et les réunions électorales étaient assez claires sur ce point. Quelle est la différence ?
L'écologie est la science des systèmes dont l'environnement n'est qu'un exemple particulier, une individuation au sens de Simondon. Or l'essentiel du discours d'Europe Ecologie portait bien sur l'écologie en tant que système à la fois environnemental, économique, politique et c'est la raison de sa percée face à d'autres discours environnementaux intégrés dans un agencement politique et économique traditionnel. Ce qu'est par exemple en train de faire le président de la République en rappelant fort mal à propos qu'il a "inventé le Grenelle de l'environnement" avec M. Borlooo alors même que dix-huit mois après ce "Grenelle" la plupart des textes de lois importants n'ont toujours pas été discutés par le parlement. Or, et c'est ici qu' Ars Industrialis travaille aussi, à sa manière, à l'écologie, puisque les systèmes environnementaux, économiques et finalement politiques ne font finalement système que grâce aux systèmes psychiques des individus, systèmes dont on sait par ailleurs qu'ils ont été depuis des décennies lessivés par le marketing et sont en train de mourir à la manière dont les sols agricoles meurent également sur toute la planète (voir les travaux de Claude Bourguignon professeur de micro-biologie des sols) lessivés par les engrais et les pesticides en tout genre. On le voit, l'articulation de l'environnement et du psychique est le pivot de toute réelle écologie et il s'agit peut-être ici d'un nouveau facteur émergent de l'écologie politique.
Un ouvrage de Gregory Bateson porte ce très beau titre : Vers une écologie de l'esprit (Steps to an Ecology of Mind, 1972), dans lequel il ne parle malheureusement pas tout-à-fait de cela, du moins pas directement. Ce livre mérite cependant d'être lu car il expose avec clarté la théorie du "double bind", situation de communication dans laquelle un individu reçoit deux injonctions contradictoires telles que s'il se conforme à l'une il se trouve dans l'obligation de violer l'autre. Nous auront reconnu la situation -- proprement intenable -- dans laquelle nous place la société hyper-consumériste (travailler plus et être au chômage, consommer, c'est-à-dire détruire, et être heureux, améliorer la qualité et le faire avec deux fois moins de temps, être personnel et faire comme tout le monde, donc être personnellement comme tout le monde, etc., etc.). Bateson explique clairement comment cette situation de double injonction paradoxale, qui sera ensuite étudiée dans ses conséquences cliniques par le groupe de Palo-Alto, conduit nécessairement à la schizophrénie quand elle devient le mode usuel de communication. En renversant le propos il est tout à fait possible que l'écologie politique, au contraire du système des gauches classiques qui ont perdu cette capacité à changer le "cadre de référence", puisse être "la différence qui fait la différence", celle qui va établir au moins la nécessité d'une nouvelle écologie de l'esprit, condition absolument nécessaire à un véritable changement politique et économique durable. On peut en tout cas se prendre à l'espérer.
Erratum commentaire précédent / correction de fautes et coquille
Européennes : la catastrophè du socialisme à la française
J'ai paraphrasé le sous-titre d'un livre de Bernard Stiegler, De la misère symbolique T2, pour mettre en évidence quelques points qui m'ont semblé, à tort ou à raison, dignes d'intérêt dans les résultats de cette élection européenne. Dans un premier temps, et afin de ne pas y consacrer plus d'espace que nécessaire, je reviendrai brièvement sur le succès de l'UMP. Sans diminuer aucunement le fait que cette formation politique ait très largement devancé tous ses concurrents (quasiment le double du score du second ce qui est énorme) il convient de préciser qu'il s'agit de 27,47 % ... de 40,65 % de votants c'est-à-dire, si mes calculs sont bons de 11,16 % des inscrits. Le grand gagnant de cette soirée électorale était donc aussi le grand absent : l'abstension.
On pourra s'étonner de cette abstention (elle était prévisible) ou s'en lamenter (c'est un peu tard) mais non pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Plus d'un électeur sur deux ne s'est pas déplacé, le fait est là. Je laisserai aux politologues le soin de faire l'analyse détaillée de ce qu'il faut bien appeler, après Freud, un malaise dans la civilisation, cependant je tenterai une remarque : le désengagement des citoyens est à la mesure de leur perte de participation dans leurs vies mêmes, perte de participation qui est un des effets dévastateurs du modèle consumériste (entendons par là d'un modèle dans lequel ce n'est pas la demande qui déclenche l'offre mais bien l'inverse) dans lequel nous nous débattons depuis quelques décennies. B. Stiegler et Ars Industrialis l'ont bien montré, après avoir prolétarisé le travailleur le système hyper-consumériste a prolétarisé également le consommateur en lui retirant ses savoir-vivre comme faire soi-même la cuisine, s'orienter sans GPS, recoudre un bouton, etc. Nous devenons des presse-boutons pressés, des agités de la zapette perdus dans un environnement hyper-informatisé qui nous échappe et nous submerge. N'oublions jamais que la télécommande doit d'abord se lire comme la télé commande. A qui commande-t-elle ? Patrick le Lay, ex-PDG de TF1 a jadis répondu dans une élan de sincérité aussi étrange que subit (on pourrait appeler cela le retour du refoulé mais peut-être ou sans doute, était-ce plutôt un bref accès d'hubris) la télé commande à notre cerveau ou plutôt à ce qu'il en reste, pour pouvoir en découper des tranches de "temps disponible " et les vendre sans vergogne au marketing. Une sorte de time-share de la psyché, chaque annonceur louant qui, trente secondes, qui, deux minutes, de cet espace de plus en plus désaffecté, au sens premier du mot (privé d'affect), qu'est devenu notre for intérieur. Nos consciences ont été peu à peu transformées en friches industrielles, et l'histoire de la pensée est devenue une Loft-Story où quelques désirs factices et pré-fabriqués s'ébattent mollement dans un loft déshumanisé. Une perte de sens généralisée et radicale s'ensuit, et la politique n'étant finalement que l'art de donner du sens à nos vies prises collectivement en tant que faisant société ensemble, elle est la première victime collatérale du pouvoir illimité qu'elle a elle-même laissé au marketing.. Pourquoi voter un dimanche pour un parlement européen dont on ignore presque tout, dont on pressent qu'il ne résoudra rien, dont on pourrait même se prendre à penser qu'il est peut-être une dépense inutile de plus ? Alors même que beaucoup de magasins sont déjà ouverts le dimanche.
Existe-t-il encore quelque raison d'espérer ? On peut le penser, malgré tout. Le score étonnant des listes d'Europe Ecologie n'est pas dû simplement au fait que le PS a été divisé, a fait une mauvaise campagne, ni même au fait que cette liste écologique a axé sa campagne sur l'Europe plutôt que sur la situation nationale française. Bien sûr, c'est une des raisons de son succès, ce qui démontre qu'une partie des électeurs au moins ne s'est pas trompée d'élection comme les medias l'avaient un peu trop rapidement écrit au lendemain du référendum, bien sûr la personnalité même de Daniel Cohn Bendit incarnation d'un pacte franco-germanique sans doute rêvé a probablement joué à plein mais la raison principale me semble ailleurs : alors même que la crise du modèle hyper-consumériste aurait pu inciter la plupart des français à se replier sur des partis prônant une efficacité court-termiste (comportement classique), une partie des électeurs, ce qui ne représente pas beaucoup de monde nous le savons, partie non négligeable tout de même, a choisi de mettre au premier plan une préoccupation non pas simplement environnementale mais écologique. Le programme et les réunions électorales étaient assez claires sur ce point. Quelle est la différence ?
L'écologie est la science des systèmes dont l'environnement n'est qu'un exemple particulier, une individuation au sens de Simondon. Or l'essentiel du discours d'Europe Ecologie portait bien sur l'écologie en tant que système à la fois environnemental, économique, politique et c'est la raison de sa percée face à d'autres discours environnementaux intégrés dans un agencement politique et économique traditionnel. Ce qu'est par exemple en train de faire le président de la République en rappelant fort mal à propos qu'il a "inventé le Grenelle de l'environnement" avec M. Borlooo alors même que dix-huit mois après ce "Grenelle" la plupart des textes de lois importants n'ont toujours pas été discutés par le parlement. Or, et c'est ici qu' Ars Industrialis travaille aussi, à sa manière, à l'écologie, puisque les systèmes environnementaux, économiques et finalement politiques ne font finalement système que grâce aux systèmes psychiques des individus, systèmes dont on sait par ailleurs qu'ils ont été depuis des décennies lessivés par le marketing et sont en train de mourir à la manière dont les sols agricoles meurent également sur toute la planète (voir les travaux de Claude Bourguignon professeur de micro-biologie des sols) lessivés par les engrais et les pesticides en tout genre. On le voit, l'articulation de l'environnement et du psychique est le pivot de toute réelle écologie et il s'agit peut-être ici d'un nouveau facteur émergent de l'écologie politique.
Un ouvrage de Gregory Bateson porte ce très beau titre : Vers une écologie de l'esprit (Steps to an Ecology of Mind, 1972), dans lequel il ne parle malheureusement pas tout à fait de cela, du moins pas directement. Ce livre mérite cependant d'être lu car il expose avec clarté la théorie du "double bind", situation de communication dans laquelle un individu reçoit deux injonctions contradictoires telles que s'il se conforme à l'une il se trouve dans l'obligation de violer l'autre. Nous aurons reconnu la situation -- proprement intenable -- dans laquelle nous place la société hyper-consumériste (travailler plus et être au chômage, consommer, c'est-à-dire détruire, et être heureux, améliorer la qualité et le faire avec deux fois moins de temps, être personnel et faire comme tout le monde, donc être personnellement comme tout le monde, etc., etc.). Bateson explique clairement comment cette situation de double injonction paradoxale, qui sera ensuite étudiée dans ses conséquences cliniques par le groupe de Palo-Alto, conduit nécessairement à la schizophrénie quand elle devient le mode usuel de communication. En renversant le propos il est tout à fait possible que l'écologie politique, au contraire du système des gauches classiques qui ont perdu cette capacité à changer le "cadre de référence", puisse être "la différence qui fait la différence", celle qui va établir au moins la nécessité d'une nouvelle écologie de l'esprit, condition absolument nécessaire à un véritable changement politique et économique durable. On peut en tout cas se prendre à l'espérer.
Lien vers mon commentaire sur le blog de Brice couturier
Suite à l'émission "du grain à moudre" du 10 juin, consacrée au thème du "post-humain", j'ai posté sur le blog de Brice Couturier
http://franceculture-blogs.com/bricecouturier/2009/06/06/ue-fin-de-parti...
un commentaire à ma façon sur l'extériorisatino technique, etc.
S'y ajoute à la fin une tirade liée au succès trop visible de l'écologie aux Européennes, et de l'injonction de respect de l'Environnement en général.
bonnes lectures