association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Rencontre débat Economie, écologie, antropie et néguantropie
Rencontre du samedi 7 janvier 2017 à St DENIS
Avertissement :ce texte ne rend pas compte exhaustivement de ce qui s’est dit mais exprime le plus objectivement possible ce que son auteur a compris du discours des différents intervenants. Il n'inclut pas plusieurs autres idées et concepts qui ont été abordés par ces derniers.
Cette réunion a été organisée à l’initiative de l’association Ars Industrialis et de son président Bernard Stiegler (créateur aussi de l’Institut de Recherche et d’Innovation du Centre George Pompidou). Les intervenants ont été Jean-Claude Englebert, économiste, élu 1er échevin d’une ville belge, fondateur du mouvement la Manivelle, de Jane Lecomte, écologue de l’université Paris-Sud Orsay, de François Sarrazin, écologue de l’université Paris-Sorbonne.
1 => En préambule, il est utile de situer les idées, sources et projets de Bernard Stiegler :
+ Avec la robotisation, l’automatisation et le techno-libéralisme, de nombreux emplois vont disparaître sans être compensés. L’alternative proposée consiste à revaloriser l’idée de travail au service de la collectivité reconnu sous la forme d’un revenu contributif (et non universel). Une recherche est en cours à ce propos sur le territoire Plaine commune St Denis. http://francestrategie1727.fr/wp-content/uploads/2016/02/projet-plaine-commune-10.03-bernard-stiegler.pdf
+ Concrètement, B Stiegler précise : « c’est une question de macro-économie qui doit dépasser le couple valeur d’usage/valeur d’échange, et promouvoir ce que nous appelons valeur pratique (c’est-à-dire les savoirs) et valeur sociétale (c’est-à-dire qui renforce fonctionnellement la solidarité)… Ce sont les savoir-faire, les savoir-vivre et les savoirs formels, de concevoir par exemple, qui constituent la base d’une économie contributive. C’est en fait la généralisation du modèle des intermittents du spectacle, qui cultivent leurs savoirs avec l’aide de leur revenu intermittent et qui les valorisent lorsqu’ils entrent en production. » http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/27/bernard-stiegler-les-gens-perdent-sentiment-dexister-votent-front-national-253270
2 => Les interventions du jour
2-1 A la suite d’Ars Industrialis, J C Englebert a cherché à illustrer par une présentation historique et économique les concepts d’antropie et de néguantropie.A noter que ces concepts s’écrivent normalement avec un e et non un a. B Stiegler justifie cette modification par le fait que les ayant emprunté à la thermodynamique pour les appliquer à une lecture économique et sociale de la réalité, ce transfert ouvre à la compréhension de phénomènes plus larges et donc transforme quelque peu leur sens, d’où la nécessité de les singulariser orthographiquement.
L’écologie politique est ici interrogée. L’anthropocène caractérise l'époque de l'histoire de la Terre au cours de laquelle les activités humaines ont commencé à impacter significativement l'écosystème planétaire. Ces activités se traduisent à la fois par un développement de l’exosomatisation (qui désigne la poursuite de l’évolution de la vie par des organes artificiels et non plus seulement somatiques) et par un développement de l’entropie (définissant d’une part un état de désordre croissant et d’autre part une dégradation de l'énergie liée à une augmentation de cette entropie).
L’automatisation grandissante de notre quotidien relève de l’exosomatisation. De leur côté, les crises financières et économiques sont de l’ordre des phénomènes antropiques. Ainsi, la financiarisation débridée que nous connaissons depuis deux décennies, a créé un système hautement destructeur avec les montages dans un premier temps d’un marché du crédit pour personnes insolvables puis d’un marché spéculatif sur les produits dérivés du premier. A la suite, ses effets et ceux plus larges qui résultent des dérégulations techno-libérales attaquent durement les fragiles équilibres sociétaux. Pour les populations, confrontées aux risques psychosociaux ou placées sous perfusions par le chômage et des médias abêtissants, cela se traduit par une perte de valeurs pratiques et une anémie réflexive.
La novlangue, chère à George Orwell, gagne ainsi une partie significative des populations. Dépossédés de la maîtrise du langage et des concepts, les gens sont rendus ignorants et dépendants. Ils deviennent alors des sujets aisément manipulables par les médias de masse et des idéologues peu soucieux d’objectivité et de fraternité. Face à cela, selon ces auteurs, seule une dynamique néguantropique bien pensé pourra partager une vision globale de la société macro-cosmos respectueux de notre condition humaine. Des implications locales micro-cosmos s’en suivront. La recherche en cours à la Plaine commune entre dans cette perspective.
2-2 J Lecomte et F Sarrazin ont ensuite décrit les débats (relativement connus) qui animent leur expertise d’écologue. Alors que le vivant est instrumentalisé par l’économie, la bio-économie est une manière de repenser cette dernière. Ainsi, l’Etat français insiste actuellement sur la mobilisation des bio-ressources. L’OCDE de son côté souligne l’importance des biotechnologies appliquées à la santé et la production de biens, mais la surcroissance dépasse largement le potentiel terrestre. Les effets négatifs du développement sont étudiés et expliquent la réalité de l’anthropocène mais ne sont pas compris par une partie de la population. Il y a en ce sens une impuissance de la science à répondre aux inquiétudes qu’elle crée à travers ses progrès et ses menaces. Quelques chiffres : 25% des mammifères sont actuellement en situation difficile ; 10% des espaces sauvages ont disparu depuis 1992 ; 25% des ressources de la biodiversité sont attaqués sous les effets des habitats humains, de la surexploitation, des espèces prédatrices conquérantes et du réchauffement climatique. Nécessité donc de penser la biosphère terrestre comme un système englobant des systèmes sociaux qui eux-mêmes s’appuient sur des systèmes économiques.
3=> Conclusion par Bernard Stiegler. des scénarii égocentrés (d’anthropocène « aveugle », de comportements de bien-être personnel immédiat, d’envahissement par des systèmes autoréférentiels fermés que par exemple sont les automations…) à un scénario ouvert, B Stiegler conclut sur la nécessité d’une hiérarchisation des effets de l’anthropocène et sur la sélection de procédures néguantropiques pour « prendre soin des autres, de soi et du monde ». Pour cela, la déprolétarisation de la société est indispensable par une coopération des savoirs.
4=> Court débat avec la salle. A la suite, a été questionné la gestion des processus du changement selon Ars Industrialis pour arriver à cette déprolétarisation et ce partage des savoirs. La théorie du réseau d’acteurs et à la sociologie de la Traduction en citant les travaux de M Callon et B Latour a été citée. En effet, ces derniers ont suivi la manière dont fut menée la réorganisation d'un collectif càd dont furent « domestiqués » les bancs de coquille St Jacques et les marins pêcheurs en baie de St Brieuc afin de faire perdurer leur activité. Ces auteurs ont dégagé les conditions et les étapes nécessaires à la réussite d’un changement désiré. Face à ce questionnement de la stratégie d’Ars Industrialis, B Stiegler a répondu que primait avant tout le partage (partant du haut ?) d’une représentation et intelligence globale du système sociétal (idée de macro-cosmos)…
D’autres questions de la salle ont été traitées mais n’apparaissent pas ici Des rédacteurs présents lors de cette rencontre pourraient compléter ce compte rendu incomplet…
Didier Lescaudron
Pour les parties 2, 3 et 4, voir :