Résumé : L'objet de cet exposé est de préciser le qualificatif de "de second ordre" noté par le signe mathématique quadratique "²" (ex : connaissance², c'est à dire connaissance de la connaissance ET connaissance de soi). Cette présentation fait partie d'un ensemble cohérent et consistant à venir dont la thématique principale est le témoignage de ma propre individuation (psychique et collective, Simondon) à travers un parcours méta-réflexif, utilisant les sciences et les technologies cognitives (STC). L'originalité de cette démarche est que la méthode, que j'expose partiellement ici, est littéralement une auto-biographie issue de mon activité de recherche sur la cognition et de mon expérience des modélisations et des simulations informatiques. Elle peut être comprise comme une énaction (Varela) de cette pratique expériencielle épistémologique et technique dont l'aboutissement est l'élaboration d'une rationalité de second ordre (rationalité²) que j'appel la démarche "scybernéthique(s)", une autre "double pensée du mileu". Elle peut aussi être comprise comme une description élaborée, une trace mémorielle et hypomnésique (Foucault, Stiegler), de mon propre processus transductif (au sens de Simondon).
Culturellement et stratégiquement, ma pensée participe à tendre et à catalyser la tension entre deux polarités culturelles essentielles, et aujourd'hui relativement stabilisées, à savoir la pensée de l'énaction de Francisco Varela et celle de l'individuation de Gilbert Simondon, en les situant dans une meta et infra-perspective de second ordre (perspective²) personnelle. Vertige et horizons.
"Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau." [Einstein]
"Si nous voulons connaître la présente situation de l’humanité en général, et la crise de notre culture en particulier, nous devons nous rendre compte du fait que nous avons réussi, et nous avons failli, pour exactement la même raison, à savoir notre mode de rationalité." [J. A. Wojciechowski]
"Il faut aller du côté (...) où la raison aime être en danger." [Bachelard]
"Là où est le danger, croît aussi ce qui sauve." [Hölderlin]
"Ce qui est bien connu, justement parce que bien connu, n'est pas connu." [Hegel]
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PLAN :
1. Avertissements et précisions : prolégomènes
2. Définition du dipôle forme/processus et description de ma conception de l'intuition
3. Remarque générale sur la rationalité² et sur le geste attentionnel "en première personne" du jugement négatif
4. Contexte historique : cybernétique et "second ordre"
5. Connaissance de second ordre (connaissance²) et ambijectivité
6. A propos de l'énaction et du cognitivisme, de la représentation et du concept d'information : le rôle pivot et pharmakologique des re-présentations distribuées.
7. Technologies numériques, culture et société : des machines informatiques aux machines sémiotiques, législatives et juridiques, et psychanalytiques.
8. De la rationalité²
9. Conclusion
Annexes : ressources conseillées, rapide présentation, tableau récapitulatif des 3 paradigmes des sciences et technologies cognitives (Varela, 89).
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1. Avertissements et précisions : prolégomènes
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Comme nous allons le voir, la compréhension du qualificatif "de second ordre" passe dans mon explicitation par une connaissance préalable scientifique, objectiviste, et épistémologique minimum. Elle s'adresse donc a priori à des personnes ayant intégré ce bagage culturel. J'aimerai aussi préciser que j'entends l'épistémologie à la fois comme histoire (sens plutôt européen) et comme théorie (sens plutôt anglo-saxon) de la connaissance.
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Je différencie aussi la connaissance, qui inclus pour moi le sujet et prends donc un sens plutôt philosophique, du savoir qui en est sa polarité plus formelle et scientifique, objectiviste. De façon générale, j'ai développé une dia-logique (Cf. Morin) en partant de la logique prédicative classique du "tiers exclus", que j'ai hackée, éthiquement et méthodologiquement, pour aboutir à des circulations herméneutiques.
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De plus, préalablement à toute synthèse, il est absolument vital dans ma logique de prendre le temps d'analyser, car les problématiques sont subtiles, sinon la synthèse produite ne sera qu'une moyenne grise et monodimensionnelle (Cf. Marcuse), source notamment du relativisme et du nihilisme contemporain, de conflits insolubles, voir de l'arrachement social des entités techno-financières. La synthèse, nous allons le voir, s'opère par suspension du jugement, et émergence progressive de sa forme. Donc il se joue ici une dialectique plus complexe que la dialectique linguistique habituelle de type thèse/anti-thèse/synthèse. Ce que nous devons individuer, c'est une bio-logique, une logique organique de vivants.
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Enfin, je différencie aussi raison et rationalité. La raison est pour moi un temps et une étape nécessaires de la rationalité. Ma conception de la raison est plutôt linéaire, elle se déploie dans le temps horizontal, appuyée par la logique classique (au sens propositionnel) et l'explication, tendue vers l'inter-subjectivation, elle est implicitement normative et déterministe, analytique, inférentielle, elle permet le contrôle inter-subjectif critique. En épistémologie des sciences cognitives (Cf. tableau récapitulatif en fin de page), on appel techniquement cette tendances "cognitiviste" (à ne pas confondre avec l'adjectif généraliste qui signifie lui "à propos des SC"). La rationalité est pour moi un ratio, une proportion, une relation de relation (relation²) qui est aussi une équilibration homéostatique (donc metastable), plus circulatoire et analogique, orientée par la compréhension et l'expérience propre, plus proche d'un temps interne, d'une épistémologie SHS, plus compréhensive et intégratrice, synthétique et abductive (Peirce), plus existentielle et herméneutique/heuristique. A noter : à ces deux styles épistémiques correspondent deux genre de distinction originaires : la séparation analytique distinctive et l'inclusion englobante synthétique (que nous décrivons habituellement en "niveaux" d'abstraction, d'explication/compréhension, de réalité, etc), qu'il s'agira de composer, mais d'une façon tout à la fois réglée et régulée, car l'inclusion est ici considérée dans un premier temps formel comme un processus d'émergence, qui sera ensuite temporalisé en étant interprété comme énaction.
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Pour les lecteurs venant d'une culture plus "orientée SHS" et/ou plus familiers de la pensée de Simondon que de celle de Varela, je vais donner une première approximation intuitive du sens du mot "énaction", sachant que la pensée énactive est un paradigme scientifique conçut à l'origine pour penser les STC avec une tension biologique et incarnée. J'en assume donc l'interprétation. Néanmoins il est bon de noter qu'il y a à la fois une résonance très intéressante mais aussi un déphasage significatif avec le dipôle "individuation / milieu associé" de Simondon. Pour les lecteurs qui voudraient se familiariser avec trois grandes tendances paradigmatiques qui innervent le vaste et complexe champ des sciences cognitives (cognitivisme / connectionnisme / énaction), je recommande fortement la lecture d'un opus synthétique écrit par Varela lui-même : "Invitation aux sciences cognitives" (Cf. Ressources conseillées et tableau récapitulatif en bas de page) . Ces précautions d'usage faites, je me commet : l'énaction est le processus d'émergence historique de l'acte cognitif. Ou dans ses propre termes : "l'action productive : l'historique du couplage structurel qui énacte (fait-émerger) un monde." (Varela, 1989). Dans la pensée de Varela, la connaissance (knowledge) et l'existence (being), sont les deux faces d'une même pièce, mais son intention explicite est scientifique avant d'être philosophique, là où Simondon est, en technicien-philosophe, transversal. Cette conception varélienne de la cognition est bien sur à mettre en relation avec la qualification d'"ontologie génétique" (Barthélémy, au sens philosophique et non biologique) attribuée à Simondon. Dans mon cas, c'est l'énaction qui a structurée mon parcours et je n'ai découvert Simondon que sur le tard, en 2005, en découvrant la pensée de Bernard Stiegler ; auteurs que je n'ai quasiment pas lu en détail dans le texte, et j'en utilise certains concepts clef pour expliciter ma propre démarche qui peine, de part son idiosyncrasie, à trouver son "milieu associé" expressif. Etranges échos.
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De même, ayant une formation académique supérieure en biologie (DEA neurosciences cognitives et comportementales), j'ai démarré mon parcours par un expérience culturelle et épistémologique de science de la nature classique. Les sciences cognitives, la modélisation/simulation et l'épistémologie, ont jouées un rôle pivot et déterminant dans la catalyse de ma trajectoire. La complexité de la tâche m'a contraint à survoler beaucoup de notions dans des domaines très variés qui en retour m'ont permis de m'orienter et de me réguler. En conséquence mes références en général dans le domaine des SHS sont donc plus des pistes de résonances possibles que des indications sûres et doctes.
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Pour moi ma croyance (au sens de la philosophie analytique de l'esprit) n'est pas un phénomène binaire, c'est plutôt une déconstruction et une re-accumulation patiente et progressive passant par la culture et la technologie, une décantation mennant à une stratification, qui provient de ma propre expérience, elle même relative. Et la liberté, chère à la contemporanité, passe par la prise de conscience de ses chaînes, de ses propres limites. "Soyez vous même !" est une injonction paradoxale bien connue des psychologues, et "Devenez ce que vous êtes" n'est qu'une suggestion philosophique.
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Le préfixe "quasi" fait référence au plan philosophique (anthropo-centré) des consistances (Deleuze & Guattari, Stiegler), lui-même étant un cas particulier et réduit du domaine général plus vaste des existences vivantes, particulièrement humaines. Son ignorance conduit à rabattre l'ensemble du domaine d'existence des être vivants, et donc aussi des être non-inhumains, sur un plan de subsistance (Cf. Stiegler). Je désir me re-connaître comme un être humain non-inhumain.
2. Définition du dipôle forme/processus et description de ma conception de l'intuition
Définition du dipôle forme/processus : j'appel forme tout ce qui peut être désigné et qui est limité (en temps et en espace). Aucune forme vivante n'est complètement fermée, ni ouverte, ni d'ailleurs sans finitude temporelle ou alors nous rentrons dans le registre pathologique. Méthodologiquement, la forme identifiée et distinguée est comprise dans un deuxième temps et systématiquement comme résultante meta-stabilisée d'un processus dynamique énactif (Varela, Cf. ressources et tableau récapitulatif en fin de page) et homéostatique de formalisation. Cette définition elle même est la résultante de mon propre parcours énactif qui peut s'expliciter comme une individuation de la connaissance. D'un point de vue psycho-logique (Gestalt) et attentionnel, la forme peut aussi se comprendre comme émergent de la négation d'une totalité relative, c'est à dire d'un environnement, d'un contexte attentionnel situé (on retrouve là l'idée de "milieu associé"). La scybernéthique(s) est une technique attentionnelle.
La pensée des limites et des finitudes, du caractère situé et incarné de la cognition, joue donc un rôle essentiel pour metastabiliser l'ensemble du processus et marquer des conditions d'arrêts, temporaires, évitant de sombrer dans une récursivité définitive et délétère, internalisée et solipsiste. Et c'est au moins en ce sens psychologique que le feu de la technique peut brûler l'esprit. Ceci est littéralement un garde-fou. De mon point de vue, il faut se déprendre de toute impression de saisie d'une totalité, car toute totalité désignée fait naître une tâche aveugle qui est son propre processus de production, ce qui la rend ipso facto relative.
Note : les concept varélien d'"autopoièse" et d'"autonomie du vivant" sont des concepts biologiques, Varela a été très clair, qui doivent donc être réservés à une compréhension docte de ce domaine. L'objectif étant à l'époque de nuancer les approches dominantes, systématiquement hétéronomes et mécanistes du vivant. Et c'est donc dans ce contexte qu'il faut les interpréter pour en comprendre le sens.
Le concept formel complémentaire de la forme est le processus. Une distinction importante : il faut veiller à ne pas confondre la "forme du processus", techniquement formalisée, et le processus per se, la dimension "processuelle" qui donc elle ne peux pas être, par design, désignée directement et donc pensée intellectuellement directement puisqu'elle est ce geste attentionnel même (Cf. Spencer-Brown). Un peu comme un doigt ne peux pas se désigner ou l'oeil se voir. C'est la tâche aveugle de la formalisation. Philosophiquement, le processus est la pro-thèse technique. Elle constitue la limite de la formalisation, donc du calculable. Le processus ne peux pas être désigné directement, cela s'appel un court-circuit, mais nous pouvons aussi dans le cadre d'une stratégie formelle individuante nous en rapprocher asymtotiquement par un long cheminement, de façon tangentielle, par l'exercice d'une pensée "à la limite" et spéculative (Stengers), de la même façon qu'en mathématique on peut approximer petit à petit une forme fonctionnelle complexe par un encadrement convergent de droites linéaires ; c'est d'ailleurs ainsi que les sciences de la nature fonctionnent ou que l'informatique produit ces illusions de synchronicité grâce à sa vitesse de traitement exponentielle. Et c'est aussi de cette façon tangentielle, itérative et progressive, prudente, par suspension du jugement hâtif, en déconstruisant patiemment mes ontologies préconçues (Rastier) que j'ai procédé pour créer mes propres concepts et outils. Les processus complexes formalisés comme les processus cognitifs, dotés de propriétés émergentes, sont difficilement mathématisables du fait de leur non-linéarité. Par contre ils peuvent aussi être simulé informatiquement et se comprendre par une circulation dialectique entre modèle et simulation accompagné d'un rapport couplant programmation active et observation "éthologique" passive des comportements de la simulation. L'intérêt de cette alternative étant de préserver le sens et la signification. Et je pourrais dire que la scybernéthique est, de ce point de vue, une in-formatique. (Cf. fin du Chap. 6 et Chap. 7, à propos de ma conception sémantique de l'information et de l'informatique).
Description (phénoménologique) de l'intuition compréhensive et créative : pour moi l'intuition, in-tuition, c'est la réception résolutive d'un geste intérieur. C'est l'intégration topologique d'un réseau de micro-contraintes effectué par mon corps biologique et cognitif et provenant de significations antérieures accumulées mais disjointes. Ma chair, mon corps propre vécu (Leib) est le témoin de cette cognition biologique qualitative (qualia), holistique et distribuée, fractalisée, qui est loin de se réduire au simple cerveau. Cette dimension cognitive et esthétique se traduit phénoménologiquement en affects de gestation, gestuels-gestatif, en schème originaire d'une coordination sensori-motrice, et dont l'équilibration (Piaget) se ressent consciemment comme émotions-signal d'adaptation.
Le geste intuitif peut-être spontané - la compréhension usuelle et conventionnelle - ou travaillé a priori pour être plus créatif. Ce travail est un travail de culture de soi, de circulation à travers à la fois la culture et la pratique technique, et la prise de conscience progressive de sa propre corporalité affective et gestuelle, de son désir. Une intuition correctement et patiemment travaillée produit, en réponse à la saturation des disparates sémantiques, le fameux "AhAh" ou "Euréka !" compréhensif et intégrateur, s'il est possible. Cette possibilité va aussi dépendre de la capacité à s'orienter correctement et donc à alimenter sa compréhension de façon qualitative, riche, variée et adéquate (penser "bio").
L'énaction intuitive peut donc être travaillée et cultivée, permacultivée, orientée et guidée, mais pas contrôlée, par nature. La volonté de contrôle (endogène ou exogène), aliénante, inhibe la créativité et commence alors soit la rhétorique expansionniste et horizontale de "l'innovation", ou pire une boucle récursive et réverbérante solipsiste, et alors attention à l'effet Larsen !
Dans ma perspective scybernéthique(s), c'est aussi un travail analogique qui se donne les moyens de la logique et de la discipline.
C'est encore mon corps ambigüe, la-vie-en-moi, qui libérée de ma volonté propre mais imprégnée de mon in-tension, effectue biologiquement la synthèse cognitive de disparates. C'est un lâcher prise sémantique, similaire à l'époché phénoménologique (au sens husserlien).
On pourra remarquer que cette conception, issue de ma propre expérience, créer une tension culturelle significative avec le lieu matériel non-vivant d'une synthèse technologique. J'y reviendrait dans un autre module lorsque je détaillerai ma procédure de modélisation / simulation d'artefact "cognitifs" et le rôle non plus aliénant mais instructif que leur ai fait jouer. Et nous parlerons donc alors "d'apprentissage profond "(deep learning) et "d'apprentissage machine" (machine learning), mais dans un sens radicalement différent de celui fortement suggéré par la doxa du marketing technologique courant. Instrumentalisons l'instru-mentalisateur !
3. Remarques générales la rationalité² et sur le geste attentionnel "en première personne" du jugement négatif
De même que toute affirmation peut et doit être questionnée sous le double procès de l'erreur et de l'illusion, la négation dans son aspect expressif est aussi phéno-herméneutiquement ambivalente. Ainsi la non-rationalité peut s'interpréter d'au moins deux façons : d'une part comme une forme d'irrationalité, c'est à dire d'une rationalité erronée, ne respectant pas les normes et canons de la validité inter-subjectivement et historiquement instituée, ou simplement contraire à l'éthique. Et d'autre part comme désignant ce qui est le fond de la forme actuelle de cette même rationalité - aujourd'hui techno-scientifique - qui, bien qu'en cours d'évolution et de validation par les experts, ne fait pas encore sens dans la communauté des pairs et dans le collectif.
La rationalité² possède quatre caractéristiques importantes :
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Elle est non-iconoclaste, préservant le capital culturel mémoriel, c'est à dire l'intelligence et la sagesse collective, et est donc, en plus d'être une écologie noologique du vivant, une écologie temporelle.
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La rationalité² est aussi non-fondationnelle, c'est à dire représentant une alternative au double dipôles classiques réalisme naïf/kantisme et empirique/transcendantal ; ce qui, au delà de la complexité, en rend l'expression et la compréhension particulièrement difficile et inconfortable, mais en retour la protège des instrumentalisations idéologiques abusives. Il s'agit donc ici de naviguer entre le monstre Scylla du représentationnisme et le tourbillon Charybde du solipsisme (Cf. ressources : "L'arbre de la connaissance", Varela & Maturana, p 125).
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Elle est méta-réductionniste, en ce sens qu'il s'agit d'une approche compréhensive multi-perspectiviste, dont le réductionnisme scientifique est un cas social particulier.
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Enfin, elle compose présentement et implicitement avec le dipôle asymétrique expliquer / comprendre (Cf. dans une perspective SHS, donc légèrement différente, la controverse expliquer/comprendre, Karl-Otto Apel). Je ne traite pas ici ce point qui rendrait mon explicitation beaucoup trop complexe et qui jusqu'alors m'avait fait renoncer à l'exprimer.
4. Contexte historique : cybernétique et "second ordre"
La cybernétique (Wiener, Macy conferences, 1947), mouvement précurseur des sciences et technologies cognitives, est un style de modélisation ou paradigme visant à exprimer une herméneutique mécaniste de l'esprit. La notion de "second ordre" provient du deuxième temps de l'évolution de la cybernétique, au milieu des années 50, où il s'est produit une bifurcation culturelle : il y a eu d'une coté la naissance de ce qui allait devenir "l'intelligence artificielle" (McCarthy, Dartmouth College, 1956) et de l'autre le mouvement moins connu de la "seconde" cybernétique, menée notamment par Heinz Von Foerster au Biological Computer Laboratory (BCL) de 1958 à 1975.
"L'intelligence artificielle", et qui s'appelait initialement "Procéduralisation d'information complexe" (Complex information processing, Simon & Newell, 1956) est originellement un projet de naturalisation de l'esprit (Dupuy, 1999, 2000) mais aussi un outil de développement stratégique des services de renseignement américains (voir le double sens du mot "intelligence" en anglais, comme dans "intelligence services"). Ce mouvement, par le biais d'une sélection financière du lobby militaro-industriel (Newell, comme Von Neumann avant lui, fréquentent la RAND Corporation), est devenu culturellement et économiquement dominant, occultant l'importance de la seconde cybernétique, qui du fait de son approche plus anthropo-centrée trouvera plutôt des résonances dans les sciences humaines et sociales. Aujourd'hui, la stratégie de contrôle des USA est basée notamment sur l'"ontopower" (pouvoir ontologique, Massumi, 2017), un "pouvoir doux" (soft power) technologique...
La seconde cybernétique ou cybernétique de second ordre (Von Foerster) se donne pour motif d'être à la fois "la cybernétique de la cybernétique" ET "la cybernétique du cybernéticien". Elle a donc pour ambition de ré-introduire l'observateur-acteur dans le procès de la représentation formelle des sciences de la nature et de la vie. Francisco Varela dans sa jeunesse participera a cette mouvance. On retrouve d'ailleurs aujourd'hui l'écho de ce geste émancipateur dans divers disciplines : par exemple, dans le mouvement du "constructivisme radical" (Radical Constructivism, Glasersfeld) psychologique, l'école de Palo Alto (Bateson), etc. Et de façon généraliste et compréhensive en SHS dans les approches d'Edgar Morin (Voir La Méthode), où dans sciences de la nature et de la vie, dans les approches issuent de l'énaction de Francisco Varela qui tentent de conjuguer la démarche phénoménologique avec les STC (Cf. par exemple Depraz, Petitmengin), visant ainsi à élaborer une neuro-phénoménologie, voir une "science de la conscience", ou dans le domaine de l'épistémologie de la physique quantique (Cf. le travail de Michel Bitbol), ou encore dans une optique plus technique, les travaux de l'école de Compiègne (Stewart, Havelange, Gapenne, Lenay). Ma propre démarche épistémologique, la scybernéthique(s), conjugue ainsi une approche "en première personne" couplée à la culture scientifique "en troisième personne" et une circulation herméneutique/heuristique des modèles et simulation informatiques "cognitives".
A noter :
Les postures attentionnelles "en première personne" et "en troisième personne" correspondent aussi à deux modes de polarisations temporelles de la conscience (dia-chronique et synchronique), que je développerais plus tard. Au passage, c'est aussi et peut-être surtout notre conscience temporelle qui est empoisonnées par les nouvelles technologies numériques sociales, au risque néo-fascisant de la synchronisation grégaire des consciences (aujourd'hui, la grande mode sur YouTube est de regarder les vidéos en vitesse x 2...). La scybernéthique(s), est donc aussi pharmakologiquement une con-science du temps et un temps de la conscience (cf. ma conclusion).
5. Connaissance de second ordre (connaissance²) et ambijectivité
Ce que j'entends par, par exemple, "connaissance de second ordre" doit méthodologiquement être compris de façon générale comme "la connaissance de la connaissance" - donc passage par la réflexion du contexte épistémologique - ET aussi comme "la connaissance du connaissant", c'est à dire de soi.
Didactiquement, le "X du second ordre", noté X², est "le X du X" ET "le X du X-ant" (participe présent).
>>> C'est en passant par la forme de la forme qui révèle, progressivement et par un long cheminement, le processus conditionnant la forme (l'a priori au sens kantien).
"La connaissance du connaissant" révèle donc la connaissance de soi comme processus temporaire et temporel, c'est donc une technique de soi (Foucault, Ars Industrialis).
J'ai appelé ce double geste, ce mixte méthodologique, cette bifurcation mi-formelle et mi-processuelle énactée, qui produit le procès individuant, "l'ambijectivité". Elle est la forme méthodologique de ma propre transduction (Simondon). L'ambijectivité se résout synthétiquement et individuellement, temporairement, dans l'intimité compréhensive, sémantique et intuitive. Cette résolution n'est possible que grâce à une circulation de l'attention entre d'une part une posture objectiviste "en troisième personne", instruite par la culture scientifique - qui passe alors au meta-niveau épistémologique - et technologique et d'autre part par une posture plus phénoménologique, "en première personne", en suspension du jugement et attentive à la dimension sémantique corporelle intuitive. C'est donc une posture attentionnelle dynamique, en mouvement, mais un mouvement parfaitement maîtrisé et chorégraphié, discipliné. La vatiation sémantique produite, à la fois désir et intentionnalité, est donc formellement générée par une double "double source" : d'une part un premier doublet représenté par la prise de conscience de la relativisation de la forme conceptuelle sur son fond culturel et noologique, qui rentre en résonance avec l'affect généré par l'évolution corrélative du sens qui été perçu lors du passage au meta-niveau épistémique ; et d'autre part par les opérations de conception/interprétation des modèles informatiques simulés. On voit ainsi comment le meta-niveau conceptuel et techno-culturel fait apparaître corrélativement un infra-niveau linguistique puisque corporel (affectif/intuitif). Et la culture étymologique y est aussi précieuse. Le nouveau sens perçu va à son tour, à travers le désir intentionnel, ré-orienter l'attention du sujet vers des corrélats, des développements, des précisions, etc, qui auront alors besoin à leur tour d'un nouveau support culturel ou sensoriel, tout en faisant évoluer la connaissance de soi. On le voit, le sens n'est alors jamais clôturé, jamais définitif, in-fini, et nature et collectivité deviennent alors des "ressources" sémantiques inépuisables au service d'un vrai "progrès" humain.
Les théories et paradigmes cognitifs sont ici considérés respectivement comme des grilles attentionnels et des styles de modélisations de sa propre cognition. Ainsi, on développe consciemment et progressivement une "co-adéquation de l'attention à ce quelle explore, et de ce qu'elle explore à la manière dont l'attention amène à l'explorer" (pour détourner ce que Michel Bitbol dit à propos de l'épistémologie des théories en sciences physiques). C'est une culture de la présence à soi qui prends les sciences et les technologies cognitives très au sérieux et qui les met en pratique.
Un attitude verrouillée "en troisième personne" (scientifique ou captée par une simulation numérique), c'est à dire coupée - en bon cartésien - de ses affects intimes, ne voit pas cette rétro-action régulatrice de la pensée, de la culture et des technologies. Cette régulation et cette "pensée du retour" vont se développer, en s'affirmant, en une herméneutique du détour et du retour (Cf. herméneutique du détour, Ricoeur), individuellement et historiquement, au sens d'une herméneutique du passé individuel et commun, permettant de se relier aux grands hommes du passé et de retrouver une certaine profondeur de leur pensée ou de façon générale dans le présent de deviner des tensions contextuelles aux discours.
Une posture objectiviste statique se laisse aussi fascinée et donc sidérée par la réitération abstraite, formelle et infini des méta-niveaux, comme deux miroirs réfléchissants mis face à face.
Toute la tension individuante est donc située à mon avis dans ce double jeu entre quasi-unité de la "première personne" (ambigüité phénoménologique entre corps physique et corps propre) et quasi-dualité intersubjectivée de la "troisième personne", et n'existant chacune que dans leurs rapports à leurs propres "milieus associés", qu'ils soient naturels ou culturels et technologiques. En conséquence, le nouveau sens produit par une circulation experte entre ces niveaux produit à son tour une nouvelle herméneutique temporaire des limites ayant permis de faire émerger la forme, et donc aussi de l'interprétation de son contexte, permettant alors une ré-orientation du sujet.
En corollaire, la dimension sémantique, a priori expérimentée intimement, est perçue philosophiquement à la fois comme auto-transcendance du sens (Barthélémy) et auto-affection (Derrida, Henry) dans l'immanence, car la partie formelle de ce qui a déclenché cette signification est elle situé de façon objective, c'est à dire produite et contextualisée par le corps objectif (Körper), l'intelligence collective ou l'expérience technologique, qui prennent ainsi la position complémentaire de l'extériorité générative. Cette conscience de la complémentarité est absolument nécessaire pour ne pas risquer une approche de type solipsiste. C'est aussi son absence qui peu faire terriblement souffrir ou halluciner dans les expériences d'isolement sensoriel ou social.
Spéculativement et intuitivement, je pense que ma conception peut aussi historiquement être mise en relation avec le geste intentionel au sens de Brentano (venant elle-même de la conception de "l'in-existence intentionnelle" scolastique) et de sa thèse de la structure de l'acte psychique. Son enseignement semble jouer un rôle considérable comme étant à l'origine de la phénoménologie husserlienne, de la psychanalyse freudienne, de l'herméneutique phénoménologique heidegerienne, ou encore de la philosophie analytique. Ma conception peut aussi, bien sur, aussi être mise en résonance avec la conception de la transduction simondonienne, mais cette fois réduite à la dimension du vivant cognitif et comme herméneutique technologique. C'est ce que j'appel la quasi-bidimensionnalité de l'intentionalisation transductive du vivant, dont l'une des dimensions est toujours incalculable, non-formalisable car énactée et individuée, appartenant à un régime dynamique à la fois processuel, contextuel et distribué, à la fois co-émergent et interactif. C'est la dimension technique du vivant.
6. A propos de l'énaction et du cognitivisme, de la représentation et du concept d'information : le rôle pivot et pharmakologique des re-présentations distribuées.
L'énaction, paradigme des STC (Cf. tableau récapitulatif en fin de page), prêtant penser la cognition "sans représentation". C'est important et cela demande quelques explications. Historiquement, le paradigme de l'énaction s'oppose dans le champ des STC au "cognitivisme", une approche voulant réduire la cognition à la raison objectiviste et qui a constituée jusqu'à très récemment l'orthodoxie du domaine. Une traduction sophistiquée de "cognitivisme" est "fonctionnalisme computo-représentationnel". Il apparait donc, qu'outre le fonctionnalisme et la métaphore informatique de l'esprit, la représentation joue un rôle moteur dans ces styles d'explications. Elle est aussi accompagnée par une rhétorique informatique du "traitement de l'information" linéaire et d'une vision de l'intelligence comme "résolution de problème", réifiant implicitement la norme objective, plutôt que comme "capacité à pénétrer un monde partagé" (Varela, 1989), plus compréhensive. De façon simplifiée, le cognitivisme est utile pour communiquer, mais n'est pas fondamentalement le paradigme adapté pour comprendre la nature profonde de la cognition vivante. La cognition "sans représentation" signifie aussi, en préalable formel, une représentation énactée et émergente, résultant a posteriori d'une cognition non-localisée, distribuée, en réseau (paradigme "connectionniste" des STC, que je préfère pour ma part appeler "processus parallèles et distribués", McClelland & Rumelhart) et surtout incarnée. Je détaillerai l'aspect non-localisé et distribué dans un prochain module où nous aborderons mon dispositif expérientiel et où j'aborderai ces modèles qui sont notamment des modèles de mémoire résilients.
Mais en réalité, et c'est la raison initiale qui m'a fait aller vers elle en tout premier lieu, l'énaction ne s'oppose qu'en apparence au cognitivisme (le connectionnisme jouant un rôle pivot) : elle le conjugue et l'englobe. Elle produit une perspective plus vaste de la cognition que le cognitivisme veut réduire. Elle ouvre le champ du pensable et du possible. Elle a pour vocation, comme déjà dit précédemment, de ré-introduire une tension et une dignité de l'autonomie (toujours relative bien sur) du vivant dans le procès épistémique objectiste et scientifique qui voudrait réduire systématiquement le pensable à l'hétéronome, comme le néo-capitalisme-libéral voudrait réduire opérationnellement, par le calcul, le monde naturel et vivant (dont l'homme) à de simple objets, des "commodités".
Et pour en revenir à la cognition "sans représentation", ou "représentation énactée", cela signifie que dans le cadre scientifique naturaliste il est légitime aussi d'interpréter tout le biologique, et non simplement le cerveau, comme "traitant de l'information" et que cette information ne doit pas tant être comprise comme "entrant et sortant" (input/output) mais plutôt, et du point de vue de l'autonomie (relative), que l'information est un signal dont la signification est apportée par l'individu vivant auto-nome et ayant sa propre cohérence, son propre "monde", sa propre perspective. C'est aussi dans cette perspective signal/sens qu'il faut comprendre mon geste initial de définition forme/processus, comprenant la forme comme a posteriori d'un processus énactif.
Et c'est aussi pourquoi, suite à nos limites cognitives de conception de la complexité (conjecture sur la complexité, Von Neumann, Hixon 1948) et à la nature distribuée et complexe du cognitif biologique, nous avons besoin de passer par les modélisations et les simulations informatiques pour approcher la façon dont des systèmes dynamique distribués stabilisent, plus que de simples formes, des comportement émergents (voir la notion d'eigenform et d'eigenbehavior, Kauffman).
Donc, on l'aura compris, j'ai une conception de la notion d'information, et que j'entends aussi comme in-formation et re-présentation technico-sociales (Cf. Cf. ressources bas de page : Havelange, Lenay, Stewart, 2003) et psychologique, qui privilégie le sens et la signification sur la forme per se, sans réduire l'une à l'autre, car la dimension objective (scientifique et/ou technologique) est pour moi le passage nécessaire à l'actualisation non-iconoclaste d'une rationalité sémantique régulée et en prise avec le monde, tout en étant du point de vue individuel conçue comme émergent historiquement, c'est à dire énactée par l'organisme cognitif vivant et incarné, en tant qu'observateur-acteur couplé avec son environnement. Pour être encore plus précis, et que l'on ne pense pas que je réifie un dualisme intérier/extérieur ontologique, car il n'est que méthodologique, c'est à dire induit par la formalisation explicative : d'un point de vue objectiviste² et expérienciel, la distinction co-émergente obserservateur-acteur / milieu est elle même énactée avec la distinction temporelle déterministe historique transversale, qui elle advient en moi et hors de moi, me traverse et m'emporte dans le flux temporel. "Le temps fuse en moi" dira Merleau-Ponty.
Cette conception de l'information comme sens, donc, tranche avec la dérive actuelle qui tend à vouloir réduire la notion d'information (comme d'ailleurs celle de symbole) à celle de signe. La soit disant "théorie de l'information" n'est en réalité qu'une théorie mathématique abstraite de la transmission du signal et je n'adhère pas au fait de perpétuer cette confusion entre signal-signe et sens-signification, qui a des conséquences lourdes et négatives dans la culture populaire en prise avec les nouvelles technologies de l'"information" et de la communication.
7. Technologies numériques, culture et société : des machines informatiques aux machines sémiotiques, législatives et psychanalytiques.
En fait, si l'on y regarde de plus près, ceci peut s'appliquer à tout les dispositifs technologiques de communication et informatiques, qui ne prennent sens en réalité que dans leur couplage avec une conscience (humaine) : ils n'ont pas en eux même de signification purement sémantique mais une capacité réflexive et relationnelle, ce sont des moyens qui prétendent implicitement justifier des fins. Lorsqu'on analyse le double geste de Turing & Church et de Von Neumann (qui va concrétiser matériellement l'ordinateur), on s'aperçoit qu'après avoir isolé abstractivement la notion d'information par un passage mathématique à la limite, par le biais de la récursivité (Church) , il s'est produit une autonomisation sémiotique artificielle du concept par l'axiomatisation de Von Neumann, qui d'ailleurs avouera lui-même : "En axiomatisant les automates [autoréplicateurs] de cette manière, on a jeté la moitié du problème par la fenêtre et c'est peut-être la moitié la plus importante...". Mais effort de guerre oblige : il fallait d'urgence mettre au point des calculateurs performants pour concrétiser, avant les nazis, la bombe atomique.
Ceci montre bien que les activités technologiques numériques ne prennent sens qu'à travers leur couplage avec une conscience, et ne co-produisent à travers cette interaction un plan de consistance lié au plan d'existence que dans la mesure où la machine fait sens pour cette conscience, et n'est donc pas juste un moyen comme les autres. Sinon, il se produit une demi-illusion imaginaire, si je puis dire, et aliénante qui décale l'être dans son individuation. Il est donc, plus que souhaitable, nécessaire d'interpréter l'ordinateur comme une machine sémiotique et non sémantique.
Ce qui milite très fortement me semble-t-il pour considérer les technologies numériques et informatiques comme un sous espace spécial du champ culturel (Simondon, Ars Industrialis) et que le danger des machines provient bien de notre méconnaissance de leur nature. Ce sont des machines performatives, qui produisent des actes de langage non-sémantiques en eux-mêmes, de signes, des machines qui sont implicitement normatives, et qui nous engagent. Les technologies numériques en elles-mêmes sont culturellement et sémantiquement insignifiantes et pourtant nous les expérimentons comme in-signifiante. En quelque sorte, elles nous écrivent, elles nous critique, elles nous jugent (cf. grec krinein), elles nous pro-gramment de façon implicite et distribuée.
De ce fait, les machines numériques informatiques peuvent aussi être vues comme des machines législatives et juridiques. Et je ne parle pas des "machines à voter" ni de l'administration bureaucratique vue comme une machine. Les machines numériques informatiques sont implicitement normatives en ce sens qu'elles véhiculent une forme technologique contraignante en imposant un format au message, concrétisant ainsi le paradigme cognitiviste (Cf. mon point 6) et structurant le psychisme de ses utilisateurs ; et indirectement, en servant d'alibi utilitariste à la propagation d'une culture qui leur donne, par le contexte, le sens n'elles n'ont pas en elles-même. Or qui sont les producteurs dominants et majoritaires de cette culture "grand public" ?! Qui donc écrit ce "code" distribué qui nous programme, cette fiction dont nous sommes les zéros ?! Les très grandes entreprises du numérique, qui à travers leur pouvoir marketing et publicitaires, et aujourd'hui pédagogique et ludique, structurent massivement l'imaginaire et l'inconscient du peuple. Sommes-nous vraiment encore dans des démocraties constitutionnelles ?!
Quand au réseau Internet, et comme le paradigme des SC dit "connectionniste", il est ambigüe, pharmakologique . Il catalyse bien sur une multitude de micro-capacités utilitaires et relationnelle, et on ne peut que s'en réjouir. Neanmoins, et pour rester critique et lucide, comme le disait Gibson dans son roman de science-fiction "Neuromancien" précurseur du mouvement cyberpunk, il reste fondamentalement aussi une "illusion consensuelle", comme l'est le langage. C'est à dire un plan de consistance mais qui est ici médié par les technologies numériques. Une "demi-illusion", si elle n'est que subie passivement, utile et surement nécessaire, potentiellement civilisatrice, mais tout de même une demi-illusion, un pharmakon.
Il me semble donc absolument capital de garder une séparation analytique première et affirmée entre les notions de média et celle de message, entre signe et information. Je noterai dorénavant cette notion d'information comme sens et signification par "information²". La forme de l'information² est aussi quasi-bidimensionnelle.
Et l'ordinateur est une machine², une machine à faire des machines me machinant, qui instrumentalisent, captent et subliment artificiellement notre besoin viscéral et individuant de communauté et de sens, amplifié par l'absence du corps. Une psychanalyse machinique et artificielle ?! Alors, leur utilisation passive et massive entrainerait des micro-transactions (au sens de l'analyse transactionnelle), générant des micro-transferts (au sens freudien), dont l'accumulation pourrait expliquer le caractère addictif avéré de ces technologies, particulièrement sur les jeunes. Elles nous permettrait d'accéder facilement aux formes culturelles, motivé aussi par la perte de confiance dans les institutions, mais sans la distinction de l'intelligence collective historique et stabilisée (académique). Mais le prix de cette facilité serait de clôturer le supplément de sens corporel vital et d'inhiber l'ambijectivité de la connaissance. Le psychisme de l'individu serait alors aspiré, en manque de sens, à l'extérieur de lui-même dans un monde imaginaire demi-illusoire et dont le sens ne tiens plus qu'au contexte intellectuel relatif, nihiliste, et ce sans le contexte bio-corporel qui fait qu'une "information" fait sens "pour moi". D'où une accentuation des extrêmes monodimensionnels, réduits soit au conflit extrémiste, soit au conformisme d'une moyenne grise. Le moi se construirait alors comme une forme sociale sans corps, comme la caricature d'un homme cartésien déchiré, sans cesse à la recherche de ce corps biologique perdu dans le "corps social" ou uniquement dans la résonance corporelle purement analogique, inhibé dans son articulation individuante diachronique/synchronique et sociale.
De façon générale, je crois que nous n'avons pas pris la mesure le l'avènement de l'informatique et de la culture technologique numérique, dont la naissance correspond à l'évènement traumatique de la fin de la seconde guerre mondiale 1939-45. Il s'est produit alors l'innommable-que-nous-devons-nommer, l'acte fou, qui nous - la civilisation des humains non-inhumains - a littéralement coupé le souffle (Cf. Célan cité par Philippe Lacoue-Labarthe dans film "The Ister"). C'est à travers cette mémoire que nous devons engager un tournant du souffle et de la vie, de l'esprit, et aller de l'avant sur nos deux jambes, habitant notre vertige et les yeux à l'horizon, en perpétuelle quête de lucidité (je pense aux statue de Giacometti). Et il serait pour moi inconcevable que la réaction historique au mal , c'est à dire à l'excès monodimensionnel, soit finalement réalisé sur le même plan que ce mal lui-même. Ne faut-il pas montrer en acte et en incarnation, sans cesse et aux abords du gouffre, que le mal n'est qu'un instant du bien ?! Nous sommes des funambules de l'in-fini, les fragiles marchant de biais, porteurs d'une étoile au front.
8. De la rationalité²
Quand à la rationalité, grossièrement et très rapidement, car qui suis-je pour oser ainsi parler de "rationalité" : l'ordre "0" correspondrait au sens commun non-éduqué et spontané, l'ordre "1" à la rationalité scientifique cartésienne, cognitiviste, hypothético-déductive et couplée à l'expérimentation, à la raison légitimement normative, en relation analytique et distinctif à l'ordre "0" (Cf. le combat de la Zététique contre "l'irrationalité" et mon point 3). Enfin l'ordre "2" ou rationalité², à une intégration énactive du contexte valide, historique et technique, épistémologique, de l'ordre "1" qui entraine une ré-introduction du sujet dans la boucle par l'intermédiaire à la fois de la prise de conscience du scientifique et du grand public de leurs propre activités cognitives permettant ainsi de re-suturer le sens commun, qui tendrait alors aussi vers un "sens du commun". Nous sommes face à un saut qui semble quantique dans sa formalisation mais qui peut-être, et surement doit être négocié en réalité de façon continue et progressive.
La rationalité² est donc une intégration compréhensive, tout en restant distinctive, des deux précédent niveaux/ordres. La rationalité² est à la fois une pensée et une pratique (praxis) et la démarche scybernéthique(s) est un ars. C'est principalement un savoir-faire qui s'articule par un savoir-quoi, là où la science traditionnelle est polarisée par un domaine d'objet. En psychologie cognitive, on parle de mémoire déclarative et de mémoire procédurale, et que pour ma part je qualifierais plutôt de "processuelle". Cette catégorisation opérationnelle, issue des études pathologiques, entre mémoire déclarative/procédurale recoupe partiellement une distinction de type mémoire explicite vs. mémoire implicite.
Je pense que la science "cartésienne" a et représente encore une phase capitale d'exploration et d'extension du champ de la connaissance humaine, ayant permis une structuration disciplinaire des domaines d'objets valides (les "ontologies régionales") et une validation inter-subjective et normative des savoirs, mais au prix d'un pseudo-sacrifice du moi (Horkheimer et Adorno), de l'intimité processuelle du sujet (la coupure cartésienne), et de la linéarisation explicative de l'expression valide (tiers-exclus), et de sa relative incapacité à penser formellement les émergences processuelle du distribué complexe. Car en réalité, nous ne sommes pas dupes : "toutes les choses ne sont pas égales par ailleurs" (clause "ceteris paribus"), et s'il y a des causes, il y a aussi des conditions ; "mutatis mutandis", bien entendu. Cette séquence historique était nécessaire, mais à mon avis elle n'est plus suffisante.
Voici un schéma, datant d'une dizaine d'année (2007) donc moins mâture qu'aujourd'hui, que j'avais réalisé pour représenter cette notion de rationalité² :
">>> C'est en passant par la forme de la forme que se révèle, progressivement et par un long cheminement, le processus conditionnant la forme."
Avertissement important : On notera que ni le dispositif technologique, ni la communauté culturelle, n'apparaissent dans cette représentation que j'avais voulu simplifiée. Ce sont pourtant deux éléments essentiels pour comprendre ma démarche, si l'on ne veux pas se fourvoyer dans un solipsisme halluciné ou pathologique, auto-transcendant ou pas. Ceci sera détaillé et complété lors du module présentant mon dispositif expérienciel.
En conséquence, plutôt que d'exposer uniquement la théorisation formelle de mon approche, très complexe à décrire, j'ai choisi d'en montrer en pratique l'usage tout en en explicitant le plus possible la méthodologie, comme dans cet exemple de réflexion sur "le second ordre" m'ayant amené à présenter mes élaborations énactées, comme par exemple l'ambijectivité et la double circulation herméneutique/heuristique en "première" et "troisième personne", qu'il nous faudra couplée par la suite avec la circulation modélisations culturelles / simulations et informatiques. .
9. En conclusion
J'ai conscience que chaque aspect de mon développement demanderai en toute rigueur de plus amples précisions, ce que j'ai fait pour moi-même pour l'élaborer de façon émergente, mais pour l'instant cela me semble inapproprié (voir par exemple mon "Brain" http://webbrain.com/u/17Vd) pour espérer a minima engager le collectif. Je suis bien sûr complètement ouvert aux avis et commentaires critiques et constructifs, mais j'essaye de me consacrer, étant dans une situation précaire, à l'expression de ma propre démarche que j'ai suspendue pendant de longues années.
Mon objectif, on l'aura compris j'espère, n'est pas ici de pas de donner des leçons de vie ou de produire un quasi-formalisme total mais de témoigner le plus simplement possible de mon expérience complexe et surtout de partager en action mes outils et mes découvertes, travaille auto-didacte (apprendre²), en espérant qu'elles seront utiles et édifiantes à d'autres. Finalement, je ne fais que payer ma dette à la communauté.
Du point de vue de la rationalité² scybernéthique(s), les rétentions tertiaires (Stiegler) sont donc réinterprétable comme mémoires² - mémoire de la mémoire et mémoire de soi - et la grammatisation (Auroux, Derrida, Stiegler) est elle réinterprétée comme processus dia-grammatisant, tension individuante produisant une intentionnalité² quasi-bidimensionnelle. La première dimension procède du régime analytique, distinctif, dualisable. La deuxième d'un régime synthétique in-fini, ni unitaire ni duelle, vivante, qui est en fait une quasi-dimension (une "dimention" ?!) d'interaction, relationnelle, analogique et synchronique, incalculable. Elle est le "défaut qu'il faut" (Stiegler), ouvrant la circulation sémantique et l'accès au supplément de sens (Derrida, Weber & Varela), là où la rationalité techno-scientifique traditionnelle tendait, emportée par sa puissance objectiviste et dans ses excès formels unilatéraux, à les clôturer. J'entends la civilisation appeller les philosophes.
D'ailleurs, et étrangement, il m'a souvent semblé redécouvrir par moi même, et par une sorte d'effet "Monsieur Jourdain", un ensemble de notions et de concepts déjà reconnus, mais toujours avec une légère variation significative, singulière. C'est intéressant, un peu comme en biologie on dit, de façon imagée et suggestive, que "l'ontologie résume la phylogénie" (Haeckel, aussi à l'origine de la notion de "monde propre", d'Umwelt) ; et je n'évoque pas cette ambigüité conceptuelle et historique de l'"ontologie" (ou celui de "génétique"), par hasard : voir connaitre/être (knowing/being) et "ontopower". Quoi qu'il en soit, cela rend plus modeste et procure une chaude sensation de fraternité humaniste, au delà de la séparation spatiale et temporelle, fort différente de la froideur que les technologies numériques prodiguent. Courts-circuits formels ?! dans l'addiction surement, tout est dans le dosage. Je suis aussi partiellement d'accord avec Deleuze, citant Nietzsche, lorsqu'il nous dit, peut-être caricaturalement pour se distinguer de la tendance orthodoxe, que nous ne connaîtrons rien par concept si nous ne les avons pas créés nous-même : le savoir-faire est essentiel mais difficile à communiquer ou à transmettre, et le champ des savoirs est immense. Et comme le dit Isabelle Stengers avec beaucoup humour, "la transmission implique une véritable pratique du malentendu". En fait, et avec nuance, ces déclarations sont aussi valable pour la méthode, or j'ai cru comprendre que Simondon lui préférait la logique (Cf. film "Simondon du désert")...
Et au delà de ma propre projection auto-justifiante ou de toute intention de produire une prophétie auto-réalisatrice, je suis intimement persuadé que nous vivons actuellement une phase de transition majeure de notre civilisation occidentale, d'où ces terribles tensions que nous vivons actuellement, que cette transition est catalysée par les sciences et les technologies cognitives, et qu'elle peut nous conduire soit passivement à une destinée délétère et intolérante (je pense aux expériences d'Henri Laborit), soit nous ouvrir le chemin d'une nouvelle ère collective et humaniste de la connaissance, difficile mais possible. Et je sais que cela est possible et nécessaire parce que j'en ai fait et j'en ferais encore, à ma façon, l'expérience.
Et en ces temps de krach de l'attention, je ne peux que vous remercier de m'avoir accordé la votre.
Mon travail est "libre et open-source".
Annexes
Présentation : Je m'appel Christophe Rigon, 53 ans, je travaille actuellement comme producteur de spiruline, je suis un amateur passionné depuis presque trente ans de STC, et je fais partie du "cognitariat". Je suis un modélisateur qui a pris l'épistémologie, les sciences et les technologies cognitives, au sérieux. J'essaye d'apprivoiser en douceur et patiemment l'idée d'être aussi moi-même l'une des manifestations énactées des formes techniques de la vie.
Ressources conseillées :
Invitation aux sciences cognitives, Francisco Varela, Ed Point Sciences, 1989
L'arbre de la connaissance, Maturana Varela
L'inscription corporelle de l'esprit, Varela Thompson Rosch
Autonomie et connaissance, Varela
Aux origines des sciences cognitives, Jean-Pierre Dupuy, Ed. La découverte poche, SHS, 1999.
Les savants croient-ils en leur théorie, Jean-Pierre Dupuy, Ed. INRA / Sciences en question, 2000.
La méthode, t3 "La connaissance de la connaissance", Edgar Morin,
Observing systems, Von Foerster
Understanding understanding, Von Foerster
Cybernetics of cybernetics, collectif de la seconde cybernétique
Laws of form, Spencer-Brown
Poésie verticale, Roberto Juarroz
Havelange V., Lenay C. & Stewart J. (2003). Les représentations : mémoire externe et objets techniques. Intellectica 35, 115-131
*** Tableau récapitulatif des 3 principaux paradigmes des sciences et technologies cognitives (Varela, 89) ***
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Le cognitivisme (ou fonctionnalisme computo-représentationnel) |
Le connectionnisme |
L'enaction |
Qu'est-ce que la cognition ? |
Le traitement de l'information : la manipulation de symboles à partir de règles. |
L'émergence d'états globaux dans un réseau de composants simples. |
l'action productive : l'historique du couplage structurel qui énacte (fait-émerger) un monde. |
Comment cela fonctionne-t-il ? |
Par n'importe quel dispositif pouvant représenter et manipuler des éléments physiques discontinus : des symboles. Le système n'interagit qu'avec la forme des symboles (leur attributs physiques) et non leur sens. |
Des règles locales gèrent les opérations individuelles et des règles de changement gèrent les liens entre les éléments. |
Par l'entremise d'un réseau d'éléments inter-connectés, capable de subir des changements structuraux au cours d'un historique non interrompu. |
Comment savoir qu'un système cognitif fonctionne de manière appropriée ? |
Quand les symboles représentent adéquatement quelque aspect du monde réel, et que le traitement de l'information aboutit à une solution efficace du problème soumis au système. |
Quand les propriétés émergentes (et la structure résultante) sont identifiable à une faculté cognitive - une solution adéquate pour une tâche donnée. |
Quand il s'adjoint à un monde de signification préexistant, en continuel développement (comme c'est le cas des petits de toutes les espèce), ou qu'il en forme un nouveau (comme cela arrive dans l'histoire de l'évolution). |