Prothéticité
La prothéticité désigne le fait que l’homme ne vit que par, avec et selon ses « prothèses » techniques, et en particulier, du point de vue adopté ici, avec et selon ces « béquilles de l’esprit » que sont les artefacts. L’homme, qui est un être néoténique, c’est-à-dire un être qui naît prématurément, essentiellement inachevé, ne se forme ou ne s’éduque qu’à travers ses prothèses techniques.
La prothéticité, au cours du processus d’extériorisation qu’est l’hominisation, nomme l’hétéronomie donnant lieu à l’autonomie – une autonomie toujours sous dépendance et conditionnelle –, et donne à penser l’humain depuis son défaut d’origine, ainsi que sa permanente remise en question par la technicité, elle-même toujours nouvelle en effet. Nous ne sommes que pour autant que nous sommes mis en question sans cesse et depuis toujours par l’intermédiaire de ces prothèses qui, traversant ceux auxquels on donne le nom d’hommes, en constituent aussi bien le défaut que l’excès. Ainsi, pour l’homme, adopter la technique n’est pas s’adapter à un état de fait mais adopter ce qui le met en question. Dire du prothétique qu’il est « pharmaco-logique », c’est poser que la technique qui nous met en question peut aussi nous fermer à la question : le pharmakon est alors ce qui court-circuite l’individuation.
Il semblerait qu’après le long processus d’extériorisation technique qu’a constitué notre histoire, nous vivons désormais un processus d’intériorisation prothétique, non pas seulement au sens où les prothèses deviennent internes, mais au sens où l’individuation biologique elle-même est prothétisée, et avec elle les processus d’adoption liés à la reproduction du vivant. La prolétarisation affecte ainsi tous les champs de la reproduction – des agriculteurs privés de leur pouvoir de sélectionner leurs semences (tel est le véritable enjeu des OGM) aux mères porteuses louant leur ventre sur le marché de la reproduction humaine industrialisée.