association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Tout d'abord je tiens àdire que je souscris entièrement à l'analyse et àla salutaire colère d'Adrien Ferro même si, je m'enexcuse, je n'ai pas vu cette publicité. Il y a maintenantquelques temps, j'avais écouté une émission deDaniel Mermet (1) (« là-bas si j'y suis »)consacrée aux effets du marketing télévisuel surles enfants. Paul Ariès, chercheur en sciences politiques àl'université de Lyon, y parlait notamment de l'introductiondes techniques de « neuro-marketing » destinéesà capter l'attention des plus jeunes, par des stratégiesde communication extrêmement sournoises et pour le moinsdévastatrices, en terme psychologique et affectif.
Le principal problèmeapparaît effectivement dans l'outil gigantesque de formationdes esprits que représente la télévision,notamment pour les enfants qui y sont quotidiennement confrontés.Dans un entretien, Jean-Luc Godard expliquait que la différenceentre le cinéma et la télévision résidaitdans le fait que le premier nous obligeait à « lever »les yeux, tandis que la seconde nous contraignait à les« baisser ». La métaphore est bien plusprofonde qu'il n'y paraît. La soumission aux flux d'imagesdéversés par la télévision tient au faitqu'elle procède, plus particulièrement dans les formesdu message publicitaire, d'une logique proche de celle des déchargesélectriques. Si l'on observe d'un peu plus près lesmessages scandés dans les publicités pour enfants, ondistingue très nettement plusieurs constantes : recours auxformules lapidaires et aux onomatopées, volume sonore plusviolent, mouvements extrêmement rapides, parfois à lalimite du « flash »... L'image-mouvement quipeuple notre quotidien (2) est une formidable « machine àcapter du désir » (Gilles Deleuze) lorsque celle-ciest détournée de ses finalitéscinématographiques. Pire, elle broie, sur des esprits enconstruction, les catégories permettant de distinguer le réeldu virtuel. Le film de Michael Haneke Benny's video montreavec une acuité effrayante, jusqu'à quel point l'enfantconsommateur d'images télévisuelles peut se trouverlui-même consommé et consumé.
L'inertie face auxravages sanitaires provoquées par la consommation télévisuelleapparaît d'autant plus paradoxale que nous vivons dans unesociété où le domaine privé n'a jamaisété autant médicalisé : campagne contrele tabac avec interdiction de fumer dans les lieux publics, ordreintimé – à coup de publicités« branchées » – pour que lesenfants mangent « cinq fruits et légumes par jour »(3), interdiction à toute femme enceinte de boire un verred'alcool sous peine d'être une mère indigne (4) etc. Latélévision facilite l'obésité, augmenteles chances d'hyperactivité des enfants, trouble les facultésde discernement(5). Elle a donc un effet très direct sur lecorps. Pour illustrer ce fait, je me contenterais de prendre unexemple : celui de l'apparition de la télévision dansles prisons.
Cette mesure, décidéepar Robert Badinter lorsqu'il fut Garde des Sceaux, étaitdictée par une réelle volonté d'humanisation dusystème pénitentiaire. Il n'est pas nécessairede faire un faux-procès à une personnalitépolitique comme Robert Badinter, qui fut sans doute le seul ministrede la Justice qui s'est soucié – et se soucie encore –du sort des prisonniers. Néanmoins, l'introduction de latélévision dans les cellules a déclenchésur les prisonniers des effets inattendus, qui permettent de mieuxmesurer les dangers du « petit écran »sur le psychisme humain. On sait maintenant que nombreux sont lesdétenus que l'on assomme à coup de cachets pour mieuxassujettir leurs corps aux positions stationnaires et reclusesinhérentes à la condition de « prisonniercellulaire ». Mais certains témoignages (dont celuid'un détenu que je reproduis ici) montrent que la télévisiondevient, lorsqu'elle apparaît dans les institutionspénitentiaires, un psychotrope tout aussi puissant que lesanti-dépresseurs, et donc tout aussi néfastelorsqu'elle fait l'objet d'une surconsommation : « Onconsomme dans les prisons plus de cachets que dans la France entière.Systématiquement, le docteur vous assomme à coup deThéralène, parce que le Théralènetue l'individu (...) [Mais] depuis que l'on a introduit la télévisiondans les cellules, à Fresnes par exemple, la demande médicaleen ''produits divers permettant de se calmer'' a chuté de 50%. Cela donne à réfléchir sur la fonction queremplit la télévision(6) » Que dirions-nousde parents qui gavent leurs gosses de Théralène. Desfous, des inconscients etc. etc. Mais lorsqu'on plante un mômedevant la télé, rien. Je crois effectivement qu'ilincombe d'abord aux citoyens de réagir, et qu'il est difficiled'obtenir une réponse satisfaisante de la part des hommespolitiques, même s'il demeure indispensable de les alerter. Eneffet, nombreux sont ceux qui ont conscience du problème, maisils apparaissent eux-mêmes prisonniers des formes de discourstélévisuels, pour ne pas dire des techniques depropagande, inhérentes aux « machinesélectoralistes ». Je reste personnellement effrayéque l'élection la plus vide, la plus démagogique etfinalement la plus publicitaire de l'histoire de la Ve Républiquesoit parvenue à battre des records de participation. Laquestion mérite d'être posée : qu'est-ce qu'unHitler ou un Mussolini aurait fait d'une telle technologiemarketing(7) '
Je conclurais enreproduisant ces propos de l'historien Carlo Ginzburg, analysant laproduction de nouveaux mythes par les industries médiatiques :« Le système capitaliste sorti vainqueur de laguerre froide est caractérisé par une réductiondu temps de travail et par une tendance corollaire àl'assujettissement du temps libre aux lois de la production. Ceprocessus a fourni une base objective à la transformation dela politique en spectacle. La confusion entre propagande etpublicité, politique et industrie culturelle, est doncinscrite dans la réalité des choses, mêmelorsqu'on n'atteint pas le cas limite dans lequel ces deux donnéesse superposent chez le même individu(8) » Le jour oùla télévision se superposera à la famille, commesemble le rêver Canal J, alors ce qui ne se veut qu'unepublicité « décalée »deviendra une réalité bien délétère.Je m'en vais de ce pas user de ma plume et de ma voix pour dire toutle mal que je pense de cette « chaîne Lagardère ».
Grégory Beriet
De l'enfant roi à l'enfant proie, émission en deux parties à télécharger ici : http://www.la-bas.org/article.php3'id_article=892&var (N°1) et http://www.la-bas.org/article.php3'id_article=982&var(N° 2)
Que dire de la visio sur les téléphones portables et de ses effets à long terme, puisqu'elle offre désormais la possibilité de voir la télévision n'importe où.
Alors que des dessins animés comme celui intitulé « Charlotte aux fraises » peuvent allègrement montré des gamins vivre dans un monde de glaces (mais à la fraise, on mange des fruits quand même !!!), de gâteaux et de chocolat.
N'importe quel médecin un tant soi peu sensé vous dira qu'un ou deux verres de vin dans une journée n'entraîne aucun risque pour le foetus. Mais le succès tient à la proscription, pas à la prescription.
Encore Benny's Video de Michael Haneke.
in. Au pied du mur : 765 bonnes raisons d'en finir avec toutes les prisons, Paris, L'Insomniaque, 2003, p. 136.
Quand on voit avec quelle efficacité Adophe Hitler a pu utiliser une technologie comme le micro pour manipuler les foules, la question me semble effectivement intéressante.
Carlo Ginzburg, « Mythe », in. A distance : neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 70