association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Ce mercredi 15 et jeudi 16 octobre s’est tenu à l’ENS Cachan un colloque sur la « Recherche en design » en lien avec la nouvelle université Paris-Saclay.
Petite mise au point. Le terme de « design », comme le soulève A.Hatchuel, est un neutre : en anglais nous disons « industrial design », « design theory », ect. Nous ferons donc de même en français.
Alors que le rapport Cadix avait insisté sur la nécessité d’une culture du design industriel en France, il s’agissait dans ce colloque de lui trouver une place au sein des disciplines de recherche à la pointe de l’innovation. Mais pour quelle innovation ? Car si Thomas Kuhn dans Structure des révolutions scientifiques a posé les jalons de l’épistémologie moderne, en fournissant les bases théoriques nécessaires à celle-ci, le design industriel semble être en manque de telles bases. Le design industriel a depuis son invention navigué dans cet interstice entre art et science, et la querelle entre Muthesius et Van de Velde l’a toujours habité, si bien qu’il est difficile (et un peu ringard) de dire si il s’agit d’un « art » mit au service de la « science » ou bien l’inverse. Faire collaborer des designers industriels et des scientifiques n’est pas un si grand défi, et de nombreuses structures industrielles (EDF en particulier) parviennent à développer une réelle émulation de ces deux disciplines.
En revanche, parler d’innovation EN design parait être un très grand défi posé à la discipline. Il ne s’agit évidemment pas de mettre « un peu de beau » dans des objets techniques mais de penser une démarche de recherche et d’innovation propre à la discipline. Car au même titre qu’il parait étrange de parler d’innovation en art, il reste compliqué de cerner ce que pourrait être l’innovation en design industriel. Le métier de designer industriel, de par son existence en dehors des champs établit, est profondément critique.
C’est ici qu’il serait intéressant d’intégrer une notion, celle « d’innovation critique » qui serait dès lors, propre au métier de designer industriel. Prenons un exemple. Aujourd’hui en Chine on sait désormais construire une maison à l’aide d’une imprimante 3D, en réduisant par 10 les coups de fabrication par rapport à une maison traditionnelle. Si cette technologie nécessite encore des innovations, quel rôle le designer industriel pourrait-il y jouer ? Chercher à développer cette technologie ça serait se confronter à de nombreux problèmes dont le premier, il nous semble, serait celui de détruire en le remplaçant tout un savoir-faire lié à la construction de l’habitat. Il s’agirait alors pour le designer industriel de mettre cette technologie au service des utilisateurs sans pour autant provoquer une « prolétarisation » (au sens d’une soumission à l’objet comme le dit B.Stiegler).
Le principe d’innovation critique permet de considérer le différentiel apport /déprédation d’une technologie et de son application. Paul Virilio nous le montre, « avec le Boeing, on invente aussi le crash du Boeing » : la technologie a un double tranchant, et c’est au designer industriel, avec son regard critique lié à l’histoire de sa discipline, d’en prendre conscience.
Cette conception d’une innovation critique intègre le designer industriel dans un système responsabilisé. Car oui, le designer industriel est responsable. Si innovation il y a, celle-ci ne doit pas se situer dans une fuite en avant (une fuite vers quoi ?) ou la conception de gadgets technologiques, mais dans un accueil critique des innovations scientifiques. En latin, innovation designe revenir à (novus veut dire changer et in indique un mouvement vers l’intérieur), ne serait-il donc pas temps de revenir vers une conception critique de l’innovation ?
Clément Gaillard