Le mythe de la mémoire d'or

Publié par fdidion le 15 Avril, 2011 - 12:07
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"L'esprit philosophique a toujours dû commencer par se travestir et se masquer ..."

 

 

Cahier d'euchrèsiologie - 8 -

premier avril 2011

 

«  ... Et puisqu'il s'agit de métrétique, il s'agit nécessairement, bien entendu, d'un art et d'une science? ...  »

Platon, Protagoras, page 137, GF Flammarion 1997.

 

 

 

 

UN JARDIN SUR L'OLYMPE

 

 

ZEUS

« Chers amis dieux, assemblés autour de moi, puisque nous nous trouvons exister, nous voilà mis au défi de prouver notre existence. Créons.

 

ÉPIMETHEE

Mais Créon, fils de Ménécée et frère de Jocaste, n'existe pas encore !

 

PROMETHEE

Tais-toi Épiméthée !

 

ATHENA

Je propose que, pour un temps, nous écartions les Titans du cercle de nos délibérations. Ils sont trop petits.

 

ZEUS

Excellente idée, écartons ce bavard d'Épiméthée qui semble ne devoir jamais comprendre qu'on doit réfléchir avant, et non pas seulement après, le parler et l'agir. Tiens Prométhée, emmène ton frère, et veille à ce qu'il ne fasse pas de bêtises.

Il se trouve sur terre des êtres prêts à venir à l'existence. Prends cette poignée de qualités, capacités et propriétés, et vois si vous êtes assez habiles tous les deux, pour les leur distribuer judicieusement, de façon que chaque sorte d'êtres s'engendre et perdure dans l'espèce animale qu'elle manifeste, pour au moins quelques générations. Déméter viendra vous voir après notre réunion, et jugera votre exercice.

 

DEMETER

Avec plaisir, cher Zeus.

 

ZEUS

Merci, chère Déméter. Je sais ton goût pour la pédagogie, c'est pourquoi je te confie toujours de telles tâches.

 

ATHENA

(regardant les Titans s'éloigner)

Ils sont assommants !

 

ZEUS

Bien, revenons à nos projets créatifs et récréatifs. Amusons-nous!

Donc, par les temps qui courent, des êtres sortent du Néant. En quantité. Je dirais même : en grande quantité. Si nous les dotons de tout ce qu'il faut pour cela, il s'en trouvera parmi eux quelques uns qui seront dignes d'être appelés hommes.

Je voulais vous entretenir de quelques idées qui me sont venues concernant cette affaire.

 

POSEIDON

Pour ma part, je t'écoute attentivement, car je suis sûr que tu vas encore nous sortir un truc du tonnerre.

 

ATHENA

Parle, Zeus, puisque, sans ces deux asticots, il règne ici désormais un calme olympien.

 

ZEUS

Mes chers amis, imaginez des êtres matériels, limités, réduits à n'être qu'à la condition d'une possibilité logique que cela soit, et non point volant comme nous infiniment sur l'aile de la croyance.

Imaginez des êtres obligés de manger pour assurer la perpétuation de la matérialité de leurs corps et l'énergie de leurs mouvements, et non point mangeant seulement, comme nous, pour le plaisir.

Imaginez des êtres contraints d'user, pour y croître et en naître, d'une matrice rigoureusement équipée de tous les éléments nécessaires à la mise en place des diverses fonctions qui concourent à la vie, et non point faisant naître une descendance, comme nous le faisons, de notre cuisse ou de notre tête, à notre fantaisie.

Voilà ce qui, pour nous, est en train d'apparaître sur terre. Voilà notre prochain terrain de jeu. Notre prochain défi. L'essence en est la physique et la mathématique.

 

HERA

O Zeus, ceci qui vient à être sur terre, est-ce ton œuvre ?

 

ZEUS

Euh, … je me flatte de l'avoir un peu voulu …

 

ATHENA

Allons Zeus, reprend ton exposé. Cette affaire m'intéresse au plus haut point. Comment formulerais-tu ce défi devant lequel nous devrions conjoindre toutes nos compétences ?

 

ZEUS

Voilà ce que nous allons faire : ce genre humain, dont la venue est imminente, nous allons, si vous le voulez bien, l'élever avec tant de finesse, qu'en peu de générations, il y deviendra possible de vivre des prodiges. Dans la stricte rationalité des contingences matérielles, ces prodiges devront être aussi magnifiques et aussi délicieux que ceux qu'il nous est donné de vivre, à nous autres dieux, dans l'absolue liberté de notre déité. Je veux vous entretenir du point particulier où notre créativité va se heurter à un mur … et du dispositif que je médite pour franchir cet obstacle.

 

HERMES

Mais Zeus, comment la mécanique rationnelle et déterminée de cette matérialité humaine pourrait-elle « vivre » les prodiges ? Il y faudrait une sensibilité ! Nous vivons, nous, dieux, car nous sommes pure sensibilité. Tout ce que nous voulons peut être, car nous sommes sensibilité à notre volonté. Mais comment cette pure mécanique, que tu nous dis à venir, pourrait-elle être sensible à quoi que ce soit ?

 

APHRODITE

Nous qui sommes des dieux, nous pourrions peut-être habiter à l'intérieur !

 

ATHENA

Alors là, ce serait une nature beaucoup trop cartésienne ! Ça ne marcherait jamais. Pas vrai, Zeus ?

 

ZEUS

En effet, beaucoup trop cartésien, ma pauvre Aphrodite. Non, vois-tu Hermès c'est du côté de la mécanique quantique que nous chercherons l'incertitude permettant de ménager l'avenir et le devenir, comme on ménage la chèvre et le chou. Le tout est de rester mécanique : que cela puisse être mis en équations, c'est la seule règle du jeu. Mon cousin, Jéhovah, a déjà essayé le quantique. Il a appelé ça, je crois, le quantique des quantiques, mais ça ne conviendrait qu'à Aphrodite. Pour nous contenter tous, il faut aller plus loin et ancrer la matière dans la mécanique quantique !

 

POSEIDON

Assez de digressions, Zeus. Dis nous, parmi les idées qui devront être mises en œuvre pour élever ces chers petits hommes, quelle est celle dont tu voulais nous entretenir aujourd'hui.

 

ZEUS

J'y viens.

En notre état de dieux, nous pouvons jouir au moment même où nous le voulons, de plats élaborés selon les recettes de cuisine les plus sophistiquées. Bœuf en daube, jardinières de légumes, coq au vin façon-ferme-du-Poitou (si difficile à penduler), pâtisseries orientales, clafoutis aux cerises, feux d'artifices papillaires jaillis du génie de Georges-Auguste Escoffier … et c

Nous pouvons habiter des palais à l'instant même où notre vision les construit et porter des vêtements si splendides, qu'il eût fallu plusieurs vies de labeur à Karl Lagersfeld pour les concevoir, tandis qu'ils sont déjà sur notre corps, le temps d'un clignement de nos divins cils, si délicats.

Tout ce que nous imaginons jouit d'une consistance telle que le monde où nous habitons se confond parfaitement avec notre esprit.

Il n'en va pas de même dans la matière grossière où seront formés les hommes. Toute chose devra y être travaillée en appliquant à cette matière une force adaptée à sa structure et proportionnelle à sa résistance, patiemment, dans un ordre méthodique, peu à peu mis en place au fil de générations craintives et hésitantes. Chacun des gestes et chacune des formes inventés par eux seront le fruit de toute une vie. Un seul individu jamais ne pourra connaître tout l'ensemble des gestes qu'il faudrait connaître pour saisir son monde. Ainsi devront-ils faire les uns pour les autres en sorte que chacun se tienne à la pointe de son savoir et que tous en bénéficient.

C'est ici que réside la question épineuse : dans quel ordre disposeront-ils leurs sociétés pour faire ainsi les uns pour les autres ?

Parce que les essais réalisés en laboratoire sont formels : aussi longtemps que les humains sont constitués en petites communautés, au sein desquelles ils sentent les besoins de chaque individu, et dont ils voient la satisfaction chaque fois qu'ils font toutes sortes de bonnes choses, et aussi longtemps qu'ils sentent la puissance que leur donne l'assemblée de ces individus en société, les humains se donnent la peine qu'il faut pour que, parmi eux, toute satisfaction possible soit atteinte.

Mais aussitôt qu'on voudrait les voir travailler à des réalisations un peu grandioses, s'inspirant du mode de vie de nous autres les dieux, on se heurte à la règle de Chayanov, au mur de Chayanov !

 

TOUS LES DIEUX

(en chœur)

Au mur de Chayanov !

 

ZEUS

Oui. Au mur de Chayanov, qu'il est impossible d'abattre, à moins qu'il ne soit fait usage d'un divin métal. Je vous dirai comment.

Voilà de quoi est fait ce mur: plus les ressources qu'on met à leur disposition augmentent et moins ils en font ! Toute motivation disparaît. Ils se laissent vivre. Ils bullent. Ils se prennent pour nous. Ils s'amusent.

 

ERIS

Il faudrait trouver un truc pour les motiver.

 

APHRODITE

Il faudrait rendre sensible et gratifiante pour eux toutes satisfactions qui découlent de leur industrie, au delà du cercle de satisfactions par eux immédiatement perceptible.

 

ZEUS

Oui, Aphrodite ! Et c'est donc d'un artifice qui produirait cet effet que je me suis mis en quête. J'avais besoin, d'abord, d'un cristal assez transparent, pour qu'un humain puisse y contempler les images de la voyance qui lui est destinée. Fastoche. Ça, je sais faire.

J'avais besoin, par ailleurs, d'un métal splendide, incorruptible, malléable mais pas trop, un métal que tous les humains, à coup sûr, aimeraient.

 

HEPHAISTOS et POSEIDON

(ensemble)

C'est … (troublés d'avoir parlé ensemble, leurs regards se croisent et ils se taisent)

 

ZEUS

Mais oui mes bons amis ! C'est précisément pour cette affaire que j'ai demandé à chacun de vous, séparément, de mettre au point un métal très beau, mou mais pas trop, et qui inspire aux humains la sympathie et le désir d'élévation. Je pense que vous avez sur vous des échantillons des résultats de vos travaux. Voyons, Poséidon, approche si tu as ce que je t'ai demandé.

 

POSEIDON

Mais certainement, Zeus. Voilà. J'ai appelé ce métal « orichalque ».

 

ZEUS

(tripotant les objets donnés par Poséidon)

Mmm …

 

Et toi, Héphaïstos ?

 

HEPHAISTOS

Bien sûr, Zeus, j'ai apporté de l'or.

 

ZEUS

(tripotant l'or)

Mmm … mou mais pas trop. … Mais ce n'est pas aussi beau que l'orichalque …

Dommage que ton métal soit tellement dur, Poséidon. Aussi terriblement dur que terriblement magnifique. C'est un métal tragique que tu as fait là, sais-tu. J'hésite. Il inspire le respect. En même temps que les symboles que je voulais mettre en jeu, les mortels y liraient leur mort. C'est un plus !

Il faut choisir. Je vais donc retenir l'or, que les hommes auraient la possibilité de modeler et fondre car il est évident qu'ils ne pourraient le faire de l'orichalque, que seule une force divine, complètement irrationnelle, peut modeler. Ça me fait penser à un truc qu'on pourrait faire de cet orichalque. Si tu veux bien, Poséidon, nous ferons un groupe de travail avec Aphrodite sur ce projet. Je suis sur qu'elle adorera. Un scénario romantique et tragique, dans lequel une amoureuse métaphysique, aidée des dieux, en ferait des masques mortuaires autour du corps des amoureux que l'un après l'autre elle rendrait si fous d'elle qu'ils ne voudraient plus vivre après son étreinte.

Mais revenons à l'or. … Euh, … merci Héphaïstos …

Je vais donc en faire la pièce centrale du dispositif par lequel je compte bien faire tomber le mur de chayanov.

C'est une tekhnè qui met en jeu de parfaites sphères d'or et de cristal, que les hommes façonneront comme bon leur semblera, aux dimensions de leurs désirs. Une pratique stabilisée, dans des règles bien codifiées, toutes issues d'un raisonnement bien informé des divers aspects de la réalité, et éprouvées par une évaluation rationnelle.

Je vous explique :

Prenons un boulanger dans un petit village de France. Il fabrique de la bonne baguette de tradition française parce qu'il voit bien que, sans son pain, les habitants du village ne savent plus comment faire pour manger leurs confitures.

Nous lui fournissons un pétrin mécanique, et un four triple volume, en sorte qu'il peut nourrir deux villages, le sien et celui d'à côté, en un peu moins de temps qu'il n'en mettait pour nourrir son seul village. Pendant trois jours il fait le pain pour tous, et le quatrième jour, il se met à travailler à mi-temps, nourrissant son seul village, et il part le reste du temps s'adonner à la pêche à la ligne. Toc : le mur de Chayanov.

Les habitants du village voisin, que l'on s'attendait à voir construire de magnifiques temples à notre gloire, ne sont pas libérés de la nécessité de faire leur pain, et l'humanité stagne, et nous nous ennuyons, et nous essayons de tuer le temps en agaçant les hommes avec des misères.

Donc, pour changer le cours calamiteux de cette histoire, nous intervenons avec le pharmakon métrétique.

Et les boules d'or et de verre de ce pharmakon pulvérisent le mur de Chayanov !

A nous les temples, les prières, les processions enamourées, les prosternations et les rituels, à nous l'ivresse des calendriers liturgiques, l'extase des bains d'adoration. A nous la gloire d'être dans les soirs diaprés de l'olympe, portés à l'incandescence par la force d'exultation des poèmes épiques

 

PANDORA

(coupant la parole de Zeus)

Mais quelle boite vient-il d'ouvrir!

 

POSEIDON

Allons allons, Zeus. Au fait! Au fait!

 

APHRODITE

Oui au fait, Zeus, au fait! Mais je profite de l'interruption pour vous faire remarquer que vous parlez maintenant de boules de verre, tandis qu'il s'agissait au début de sphères de cristal.

 

ZEUS

hum, oui.

C'est à dire que les sphères de cristal, c'était pour tenir compte de la texture littéraire du Cosmos où s'expriment nos êtres. Mais en réalité du simple verre, tout à fait ordinaire, fait parfaitement l'affaire. Il suffit qu'il soit transparent.

Alors, je vous explique comment cela marche :

le boulanger, le premier jour, fait le pain de tradition française pour les deux villages et, tandis qu'il le range dans le char venu le chercher, il demande au conducteur de lui dire, dès le lendemain, quelle est la mesure de la valeur de ce chargement de pain pour le village voisin.

Arrivé dans son village, le conducteur du char distribue le pain à qui en veut. Le soir, après que le pain ait été beurré, recouvert de confiture et mangé, accompagné d'un thé corsé de l'île de Ceylan, très simple, les mangeurs de pain se réunissent pour délibérer de la valeur du pain qu'ils ont mangé dans la journée, selon ce que leur a demandé le conducteur au moment de la distribution. L'un dit deux, l'autre un demi, un troisième dit dix, … et c … . Additionnant le tout, on arrive à une valeur de 177 qui est un chiffre assez gros, et pas facile à compter par tout le monde.

Quelqu'un dit « après tout ce n'est que du pain, divisons par dix ». Comme on aime bien celui qui vient de parler et que personne ne voit ce que cela fait de dire un gros ou un petit chiffre pour la valeur du pain reçu, tout le monde dit « oui, oui, divisons par dix ». Le conducteur du char dit « alors ça fait dix huit », et tout le monde est d'accord, sauf le petit Chilpérec qui n'est jamais d'accord.

Le lendemain, pendant que le boulanger et le conducteur remplissent le char de pain, ce dernier dit « la valeur du pain d'hier c'est dix huit.

-Bon. Allons dans la crypte obscure où est caché l'or et le verre » lui répond le boulanger.

Tous deux descendent un escalier en colimaçon, interminable, au bas duquel un couloir mène jusqu'à une petite salle voûtée sur les parois de laquelle se dessinent trois portes. Au dessus de chacune des portes, gravé dans la pierre, on peut lire un mot dont les lettres dansent à la lueur vacillante de la torche : « petites », « moyennes », « grosses ».

Nos deux compères franchissent la porte marquée « petites ». Elle ouvre sur un couloir qui va jusqu'à une salle voûtée où sont trois portes : « très très petites », « très petites », « assez petites ». Ils franchissent la porte des « très très petites », un couloir, un escalier à monter, une porte encore. Mais, celle-ci est couverte de rubis, d'émeraudes, de topazes, d'opales, de Syracuses et d'autres pierres précieuses assemblées en des motifs si fantastiques, délicats et extravagants que tous deux s'immobilisent durant un long temps de silence et de contemplation. Ad orem.

Enfin, le boulanger regarde une fois de plus son plan et dit « c'est bien là, y a pas d'doute ».

Ils ouvrent la porte, la franchissent, la referment, et brandissent leurs torches bien haut au dessus de leurs têtes.

« oh … »

C'est alors que la musique des sphères emplit leurs yeux. La pièce est pentagonale. Au milieu de l'un des murs, la porte qu'ils viennent de franchir et de refermer derrière eux. Aucune pierre précieuse ne l'orne du côté intérieur qui est fait de chêne massif, sobrement ouvragé.

Sur les quatre autres murs, serrées les unes contre les autres, du sol jusqu'à une voûte très haute, les très très petites sphères scintillent comme des petits yeux malicieux : les deux murs de gauche sont couverts de billes d'or massif. Sur les deux murs de droite, des billes de verre plus grosses. Des billes de verre sont rangées aussi autour de la porte, de sorte que la surface occupée par le verre est plus étendue que celle que l'or occupe et, si l'on entreprenait de les compter, on découvrirait qu'il y a autant de billes d'or que de billes de verre.

Un long silence unit le boulanger et le conducteur dans le recueillement de la crypte. Quand ils sortent de leur torpeur, le boulanger met sa torche dans la main libre du conducteur et sort deux petits sacs de sa poche. Il s'approche du mur scintillant et examine la façon dont les billes de verre sont disposées, par bandes horizontales de dix lignes superposées sur des miroirs très légèrement inclinés, de sorte qu'on peut prendre les billes de la ligne supérieure sans faire tout écrouler. Il en prend dix huit, qu'il met dans un sac. Il s'approche du mur d'or, qui clignote de tout ses innombrables petits yeux, voit que les billes, plus petites, sont disposées de la même façon que le verre, approche sa main pour en saisir pareillement dix huit, et se fige. Un frisson lui parcourt l'échine, et des larmes lui viennent aux yeux. Ce n'est pas de l'or qu'il a devant lui, comme il était écrit sur la notice : c'est de l'orichalque !

 

POSEIDON

Ah non ! Zeus. Tu m'as promis de réserver l'orichalque pour en faire des sarcophages magiques d'un tel éclat que tout homme voudrait mourir à l'instant, pourvu qu'il soit couvert du masque d'orichalque qui immortalisera les traits de sa jeunesse pour toujours !

 

APHRODITE

C'est vrai, Zeus ! Et le scénario est déjà bien avancé : une île engloutie dans un désert de sable. Une princesse belle, pure et solitaire, qui enfile les amants comme des perles sur le fil de la Parque, en un collier dont elle sera le joyau central, les traits de sa jeunesse, à elle aussi, immortalisés dans l'orichalque !

 

POSEIDON

… pour toujours (soupir) …

 

ZEUS

Oui, euh … si vous m'interrompez tout le temps, je ne vais plus savoir où j'en suis dans mon histoire. Mais voyez vous-mêmes : dans mon laboratoire, quand je mets de l'orichalque sous les yeux du boulanger, ça semble l'impressionner beaucoup plus que quand je lui présente de l'or.

 

HEPHAISTOS

Zeus, tu voulais un métal un peu mou. Et nous avons vu que l'orichalque ne peut être ni tordu, ni fondu, ni brisé par les hommes. L'or, en revanche est bien de leur monde, et c'est d'un artifice qui soit pleinement du monde des hommes que tu as demandé la création.

 

ZEUS

Nous en reparlerons. Après tout, j'ai bien le droit de changer d'avis si je veux. Sinon, à quoi ça sert d'être Zeus ? En attendant, mettons de l'or sous les yeux du boulanger, et cessez de m'interrompre.

De la même façon qu'il a pris et mis dans un sac dix huit perles de verre, il se saisit de dix huit perles d'or, et les met dans l'autre sac, sans autre forme de procès. Nos deux compères reviennent à la surface. Je vous fait grâce des énigmes qu'il leur faut résoudre pour ouvrir à nouveau les portes qui se sont verrouillées automatiquement derrière eux. Tout cela est très bien expliqué dans « le donjon de Naheulbeuc » ou la chanson de Juliette dont le titre m'est sorti de l'esprit.

Le boulanger dispose dans sa boulange les dix huit perles de verre, à la lumière du soleil levant. Le conducteur reçoit de la main du boulanger le sac où sont les dix huit perles d'or. Puis il retourne au village voisin porter son chargement de pain ainsi que le sac qui lui a été confié. Et le tour est joué !

 

HERA

Le tour est joué … ?

 

ATHENA

Mais oui! Je vois où tu veux en venir, Zeus.

Le conducteur apporte à son village le pain et les perles d'or. Les habitants s'assemblent autour de lui, le questionnent. Il répond qu'il faut d'abord mettre l'or sous le kiosque qui est au centre du village, disposé sur un miroir presque vertical, éclairé par les rayons du soleil couchant.

(Athéna regarde aux pieds de Zeus, où un éclairage

fait apparaître des tableaux de ce qu'elle décrit)

Quand cela est fait, tout le monde s'installe confortablement dans des fauteuils que des hommes ont apporté en hâte sous le kiosque ouvert à la brise encore chaude du soir. Des femmes viennent bientôt emplir d'un excellent thé corsé de l'île de Ceylan, très simple, des calices ornés de peintures qui font le récit des aventures de nous autres dieux.

Le conducteur prend la parole :

«  Voilà représentée la valeur du pain qui nous fut offert hier. Percevez-vous la question que pose avec douceur ce métal magnifique à vos yeux émerveillés ?

    • Bien sûr ! » s'exclament dans le plus grand désordre toutes les femmes et tous les hommes assemblés. Alors, le conducteur se tourne vers le plus petit des enfants présents dans le groupe et lui demande :

«  Toi aussi, tu vois ce que nous disent ces dix huit gouttes d'or ?

    • Oui. Elles me disent que nous avons aimé le pain du boulanger, et qu'il nous appartient désormais de trouver un étranger qui sache goûter le fruit d'une de nos industries et nous dire sa valeur.

(un autre enfant, surexcité, lui coupe la parole et s'écrie très vite)

    • Si c'est dix huit, on lui donne toutes les gouttes d'or. Si c'est moins, on en garde un peu. Et si c'est plus tu iras en chercher d'autres, dans la crypte que tu nous a racontée.

    • Si c'est mille, tu iras par la porte « moyennes » !

    • Et si c'est un million tu iras par la porte « grosses » !

    • Mais oui ! Vous avez bien compris ! S'exclame alors le conducteur, et alors je sortirai de la crypte autant de boules de verre que de boules d'or. Et nous garderons ici ces boules de verre dans lesquelles nous pourrons voir la satisfaction des gens qui useront du fruit de notre industrie tout comme nous pouvons voir, sans artifice, la satisfaction de nos frères et sœurs dans notre propre village. »

Est-ce que je t'ai bien compris, Zeus ? Ainsi, tu donnes aux hommes un moyen de représenter et de signifier la valeur de ce que chacun fait pour d'autres et, par là même, d'augmenter artificiellement, autant qu'ils le voudront, leur sensibilité et leur mémoire !

 

ZEUS

Par conséquent : échec et math à Chayanov ! Tu parles d'or, Athéna. Je vois que tu as parfaitement compris mes intentions.

Ainsi obligé, aussi longtemps qu'il restera des sphères d'or dans un village, chacun de ses habitants n'aura de cesse de trouver une industrie qui apporte une satisfaction assez évidente en quelque village étranger, pour que des sphères d'or puissent être confiées à ce village étranger.

J'appellerai commerce cette façon de mettre à merci, et jamais il ne dépassera la mesure de ce dont on peut faire grâce.

 

ERIS

A la bonne heure ! Voici constituée la source d'une bien belle émulation ! Pourvu qu'on ne finisse pas par s'ennuyer, quand même !

 

DIONYSOS

Mais au fond, Zeus, que cherches-tu à faire, avec toute cette jonglerie de boules d'or, de verre, d'orichalque et de cristal ?

 

ZEUS

Produire une vision et une volonté politiques capables de progressivement sortir du complexe économico-politique de la consommation pour entrer dans le complexe d'un nouveau type d'investissement.

 

---

Silence. Dieux, hommes et enfants paraissent s'être figés dans une immobilité photographique. L'intensité de la lumière diminue peu à peu, plongeant dans l'obscurité l'Olympe et le laboratoire qui est aux pieds de Zeus. Les enfants, qui font le premier cercle autour des sphères d'or, sont les derniers à disparaître.

 

(voix off): Dans la crypte où sont rangées les sphères d'or et de cristal.

 

(voix de femmes pour les billes d'or et voix d'hommes pour les billes de verre.)

 

  • d'abord, j'étais la valeur du pain qu'il envoya, ce matin là, dans le char du conducteur.

  • Tu dis vrai, bille d'or. Quant à moi, bille de verre, j'étais la valeur du même pain, restée près du boulanger, il voyait en moi une lueur, et cette lueur était son courage et son espoir, cette lueur était comme la folie cristallisée dans un numéro de loto, qui y reste enfermée jusqu'au jour du tirage. J'étais fière de lui, tandis qu'il doutait de moi.

  • Je me souviens, bille de verre, de ce matin où nous fumes détachées, l'une et l'autre de cette crypte. Je me souviens que cette séparation nous unit pour toujours. Cette séparation plaçât une même valeur en chacune de nous. En moi, c'était une sensibilité mystique à tout ce que portait le regard des enfants qui s'imaginaient bientôt couvrir le monde de petites billes d'or, telles que moi, et surtout de plus grosses, en témoignage des talents qu'ils allaient bientôt mettre en œuvre pour faire toutes sortes de choses utiles et agréables, bonnes et satisfaisantes. Ils s'imaginaient que le monde entier, imprégné du souvenir de leur valeur ne pourrait jamais êtres autre chose qu'une matrice de bienveillance. Les adultes, qui faisaient cercle derrière eux, n'étaient pas si naïfs, mais chacun cherchait secrètement comment il allait réussir à se montrer plus créatif que les autres.

  • Je me souviens du regard du meunier, fouillant dans ma transparence à la recherche d'une preuve de la véracité des paroles du boulanger. Nous étions dix huit. Il lui dit qu'une de nous était la propriété du conducteur, que sept étaient sa propriété à lui, boulanger, et que dix étaient la propriété du meunier et du semeur de blé. Le meunier laissa ses sacs de farine, et repartit avec dix d'entre nous, partagé entre le doute et un étrange goût qu'il sentait s'éveiller en lui. Le goût du jeu. Après tout, si l'eau a la propriété de bouillir à cent degrés, le boulanger a la propriété de cuire le pain, le conducteur de le conduire à qui le mange et le meunier a la propriété de moudre le blé en farine. Que cette propriété soit mémorisée dans une bille de verre, on pouvait bien jouer à se le dire !

  • D'abord, ils firent des tuniques, puis des sandales. Enfin l'un d'eux sculpta dans la pierre les formes de la Déesse, qu'il connaissait. Ils mirent tout cela sur un voilier et gagnèrent l'île où vit le petit peuple de la mer. Ceux du petit peuple acceptèrent la statue, qui est encore à l'angle d'une place d'un de leurs villages. Ils reçurent les tuniques et les sandales, mais ne voulurent point en dire la valeur, ni non plus recevoir la garde de billes d'or. Ils donnèrent une grande fête et, une lunaison plus tard, ils vinrent avec un chargement de poisson frais au village des mangeurs de pain où une fête magnifique à nouveau fut donnée. Mémorable banquet.

  • Quant à moi, plus vite que toi mise en mouvement, j'étais déjà dans les mains du semeur de blé. Bientôt, je faisais route vers le sud. Il me mit dans les mains de celui qui lui avait fourni un toit pour le protéger de la pluie nocturne, lequel allait bientôt se procurer des sandales chez les mangeurs de pain. C'est ainsi que je te retrouvais. Aussitôt posée près de toi, les hommes firent le projet de nous reconduire tous deux au fond de la crypte.

  • Bille d'or, je suis la valeur d'une pâtisserie, d'un chapeau, puis d'une guitare.

  • Bille de verre, je suis la valeur du même chapeau, et d'une maison, et de la récolte d'une vigne.

  • Bille d'or, je suis la valeur d'une poêle à frire.

  • Bille de verre, je suis la valeur du poisson.          

(Soudain éclate une voix qui fait entendre des échos terribles)

  • Je suis la valeur de 500 trières, lancées contre le royaume d'Artaxerxès. Dans les flancs des navires, trente mille guerriers sont prêts à faire la fortune du stratège dont le génie a secrètement formé cette armada, dans une province de Thrace, fermée à tout regard étranger, et regorgeant d'esclaves, soumis en vue de l'accomplissement de son noble but.

  • Ou h ! La la … et tu es de verre ou d'or?

  • Je suis de la sueur et du sang de ceux qui ont construit les bateaux, forgé les armes et entrainé les combattants !

  • En voilà un qui n'est pas comme nous. Semble souffrir de troubles psychologiques.

  • Taisez-vous! Je suis plus de valeur, à moi seul que vous toutes réunies.

  • Ma parole, si son corps n'est ni d'or ni de verre, ce doit être un fantôme! Et comment s'est terminée l'expédition?

  • Un traître à donné nos plans au Roi, en sorte que tous les hommes furent capturés, passés par les armes, et ceux de nos vaisseaux qui ne furent pas incendiés vinrent grossir la flotte d'Artaxerxès. Je suis la valeur des vaisseaux qui ont ainsi grossi le Pouvoir d'Artaxerxès.

  • Mais, fantôme, tu ne trouves pas l'opération un peu coûteuse?

  • Je suis la valeur des hommes capables de se sacrifier dans les entreprises héroïques.

  • Valeur nulle!

  • Bon, quelqu'un a une idée sur la façon dont on pourrait le soigner, celui-là?

  • Soigner un fantôme! Dur dur.

  • Peut être un peu d'eau du Styx?

  • ...

 

---

(La lumière revient sur l'Olympe. Le laboratoire de Zeus a disparu.)

 

ZEUS

Un peu didactique ce coryphée, vous ne trouvez pas?

 

APOLLON

Et bien, Zeus, tu ne perds pas de temps ! Je vois des humains fondre déjà l'or et le façonner au gré de leurs désirs, comme tu as décrété que cela soit. Ils en forment des statues qui sont du plus bel effet quand c'est moi qu'elles représentent.

 

ZEUS

Mais, qu'est-ce que tu racontes ? Les humains ne disposent pas encore de l'or !

Et si j'ai dit «  C'est une tekhnè qui met en jeu de parfaites sphères d'or et de cristal, que les hommes façonneront comme bon leur semblera », c'est de façonner la tekhnè que je parlais, et non de façonner l'or. L'or simplement accompagne et tourne dans le sens des productions qu'ils se transmettent les uns aux autres.

 

ARTEMIS

Alors là, Zeus, il y a quelque chose qui ne marche pas comme tu le dis : non seulement ils martèlent l'or pour en recouvrir des statues, mais quand cet or tourne en rondes d'accompagnement de leurs commerces, c'est en rondelles et non en boules. Et le sens de la ronde de l'or est inverse du sens de la ronde des productions. Tout au contraire de ce que tu nous décris.

 

HADES

Et je ne vois pas que le moindre petit soupçon d'aïdos ait pris consistance dans cet or.

 

ZEUS

Hou là là … , mais que se passe-t-il ? Hermès, est-ce toi qui as déjà accompli la mission que j'avais pensé te confier? Dans ce cas, tu l'as accomplie trop tôt, et n'importe comment !

 

HERMES

Moi, je n'ai encore rien fait. À l'instant même je lance une enquête : secrètement, les hommes ont suivi Prométhée qui allait dérober pour eux la technique et le feu dans l'atelier d'Athéna et Héphaïstos, à cause d'une bêtise d'Épiméthée qu'il n'avait su empêcher. Peu après que Prométhée se soit éloigné, ils se glissent discrètement à l'intérieur de l'atelier, s'emparent de l'oreille d'Héphaïstos, d'où s'écoule la rivière de cérumen aurifique.

 

ZEUS

Aïe aïe aïe … dur dur pour rattraper ce coup là ! Heureusement, il nous reste l'orichalque pour constituer ce condensateur d'aïdos que j'ai génialement conçu.

 

APHRODITE

Comment cela ? « il nous reste l'orichalque » ? Le rôle de l'orichalque a déjà été arrêté dans un tout autre scénario :

le récit d'Atlantide est déjà établi

un roman en est né Pierre Benoit l'a écrit

 

POSEIDON

Je confirme.

 

ZEUS

Et bien, mon pauvre Hermès, ta tâche devient très incertaine. Puisque j'ai perdu autant l'or que l'orichalque dans mon projet de faire pour l'homme une matérialisation de la vergogne, il faudra trouver un autre moyen pour lui en insuffler quand même un peu, de cette vergogne. Et comme cela ne saurait être suffisant, nous devrons compléter comme nous pourrons avec de la justice.

En attendant, faites venir devant moi Prométhée, que je me passe un peu les nerfs.

 

DEMETER

Zeus, je ne te comprend pas. Pourquoi, pour en venir à tes fins, n'as-tu pas pris, dès le début, l'orichalque qui ne présentait que des avantages ? Il ne peut être travaillé par l'homme, et touche son cœur avec plus d'énergie que l'or ! Et pourquoi, quand tu l'as désiré, n'as-tu pas imposé d'y revenir ?

 

ZEUS

C'est que travailler le métal par lequel les dieux apportent l'aïdos aux hommes est une injustice faite aux dieux.

Avec l'orichalque, les hommes n'auraient pas pu commettre l'injustice. Ils auraient donc été dans l'impossibilité de s'en abstenir.

… Et puis, le projet de l'Atlantide faisait tellement plaisir à Aphrodite …

Au fond, tout cela sera peut-être encore plus intéressant que je n'avais imaginé au départ. Mon histoire est pleine de défauts, mais moi, j'aime ça, les défauts. Je dis toujours « c'est le défaut qu'il faut! ».

 

DIONYSOS

Bon, bah moi je vais chercher une muse et lui donner mission de doper un peu l'esprit d'Aristophane : qu'il étoffe le second acte de cette pièce qui me semble bien être notre présent séjour !

 

APOLLON

Bonne idée. Le sens le plus élémentaire de l'harmonie eut voulu qu'après le coryphée, le second acte fût aussi grand que le premier !

 

HESTIA

C'est vrai. On étouffe complètement ici ! Je n'ai pas pu en placer une. Et pourtant la question du Mode de Production Domestique me concerne particulièrement.

 

CALLICLES

Si vous voulez mon avis, le paroxysme qui conclut le coryphée fait long feu. Le grand style eut voulu qu'on l'arrête sur une note haute. Ou alors, qu'il soit suivi d'une transition propre à restaurer la thymie qui présidait à son début.

 

ATHENA

Mais que fais-tu là, Calliclès ! Veux-tu bien redescendre tout de suite !

 

PAN

Pourquoi Aristophane ? Pourquoi ne pas plutôt charger de cette histoire un type sérieux ? Tiens : Euripide. Il est bien Euripide.

 

ASCLEPIOS

Allons allons, Pan, ce n'est pas Aristophane qui nous écrit, là. N'écoute pas ce qu'en dit Dionysos qui n'en sait pas plus qu'aucun de nous. Il faut accepter qu'au nombre des questions qui dépassent nos compétences de dieux immortels, figure celle-là : qui écrit ?

 

MAITRE IODA

Tout puissants nous sommes. Et pourtant jamais ne savons qui nous pense ou qui nous écrit.

 

SAINT PAUL

C'est pourquoi j'ai tant insisté sur l'importance de la prière.

 

ATHENA

Mais qu'est-ce que c'est encore que ces deux là !

 

ZEUS

Tout va bien Athéna, c'est juste que Steven Spielberg a acheté les droits. Le mieux est d'attendre que ça passe, sans faire de vagues.

 

ATHENA

Sans faire de vagues ! Et pourquoi ne pas attendre gentiment de voir débouler ici Superman, pendant que tu y es ! J'avais espéré que tu la voulais un peu adulte, cette humanité ! Un peu moins chimérique ! Mais, comme tu sembles prendre la chose, on dirait que tu veux nous en faire un troupeau seulement destiné aux pires mystifications et livré à de vains spectacles ! »

 

Pendant qu'Athéna prononçait ces derniers mots, la voix pleine d'orage et des éclairs dans les yeux, Déméter, qui a sur le visage, le masque d'une infinie tristesse, s'est éclipsée en silence par une des portes de l'Olympe, à l'insu de tous les autres dieux. L'instant d'après, Athéna franchit, à son tour, cette porte, qui, tandis qu'elle la claque, fait entendre un bruit de tonnerre plus puissant que n'en produisit jamais la plus puissante des foudres de Zeus.

 

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Cette introduction (dans laquelle, par manque d'une culture classique suffisante, l'identité des dieux intervenants est probablement souvent mal choisie et leurs portraits probablement impertinents), rendra peut-être intelligible à certains, le tableau en onze colonnes qui reflète l'avancement de la réflexion sur le quatrième chantier.

On peut lire les étapes antérieures dans les cahiers n°1 janvier 2009 – huit hypothèses, paragraphe IV ; n°2 avril 2009 – un jardin 4) un outil permettant de signifier la mesure des valeurs de ce qui est produit et attribué. et 4) VALORIMETRE.

Le tableau présente onze colonnes que l'on numérotera dans l'ordre de gauche à droite : 1 – 2 – 10 – 11 – 9 – 8 – 3 – 4 – 7 – 5 – 6 .

1 et 2 : la production reçue, et la valeur qui en est signifiée.(Une capacité de mesure de la valeur est ainsi dévolue au producteur. Au besoin, elle est instituée par celui qui reçoit la production, dans les limites de la prévision qu'il fait de la valeur qu'on lui signifiera de ses propres productions.)

3 : somme des valeurs signifiées.

4 : index de l'écart d'avec l'équilibre.

5 et 6 : la production offerte et la valeur qui en est signifiée par qui la reçoit.

7 : la somme des augmentations de capacité de signifier la valeur.

8 : la fraction accomplie.

9 : la capacité globale prévisible.

10 et 11 : millième de la capacité globale, par choix(10) et par devenir(11).

 

Bien employé, cet outil constitue un vecteur pour signifier un aspect de la valeur de ce dont peut faire usage un individu partageant cet outil avec d'autres individus d'un collectif provisoire. En ce sens, c'est un instrument de mesure partielle de la puissance de production, donc de perception et de compréhension des flux de puissance: un outil pour penser la puissance de soi et des autres. Il n'est en rien un vecteur d'octroi d'un quelconque pouvoir, ce qui implique qu'il participe à reposer la question de l'organisation des flux de pouvoir dans le collectif.

Une piste est ainsi défrichée pour repenser librement chacun de ces deux flux que l'échange des possessions confond dans un vecteur unique : le prix. Ce qui n'est possible qu'à la condition d'une distorsion d'un flux par l'autre ou d'une distorsion des deux.

Le prix d'un porte-avions n'exprime qu'un flux de pouvoir. Sa valeur est nulle au point de vue mondialisé qui seul est pertinent à présent. Sa valeur est nulle, car il n'est en aucun cas une production, mais par nature une participation à un processus de destruction. En ce sens, le porte-avions représente une consommation, et non une production.

Cependant, du fait que l'échange des possessions est un vecteur unique pour faire apparaître les flux de valeur et les flux de pouvoir à l'endroit du porte-avions, son prix de vente crée l'illusion qu'il s'agit d'un objet de valeur.

 

Voilà qui devrait donner envie de se familiariser avec le fonctionnement du tableau à onze colonnes, et avec les velléités intempestives et maladroites de Zeus pour établir un commerce de vergogne, d'aïdos. Ce serait l'occasion de redécouvrir qu'on est toujours enfant avant d'être adulte, que le bonheur d'être enfant est dans le mouvement par lequel on devient adulte, et qu'il y a un bonheur d'être adulte dans la capacité de nourrir et mûrir les enfants.